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Un défilé de mode à palper à l'aveuglette

'Touch and See', un défilé où les mains baladeuses étaient souhaitées. swissinfo.ch

Pour célébrer son 100e anniversaire, l'Union centrale pour le bien des aveugles (UCBA) a organisé le premier défilé pour mal-voyants et voyants.

Ce contenu a été publié le 27 mars 2003

A Zurich et à Lausanne, le public était invité à toucher les créations de printemps de huit jeunes stylistes. Reportage.

«Ce n'est pas parce qu'on voit mal ou pas du tout comme moi, qu'on ne s'intéresse pas à son look, ironise tout sourire la jeune Marie-Pierre Assimacopoulos. On est des femmes comme les autres.»

Marie-Pierre et son amie Françoise Duruz sont féminines et fort agréables à regarder. La quarantaine pimpante, Françoise est particulièrement élégante dans sa robe anthracite, légèrement volantée sur le décolleté.

«Etant née mal-voyante, je ne me souciais pas de mon apparence jusqu'à que je me lasse des quolibets. Et m'habiller est devenu un grand plaisir. Un plaisir que je partage avec ma fille, couturière de formation. Elle me conseille».

D'autant que la cécité ou la mal-voyance attire immédiatement l'attention des voyants. La première impression visuelle compte donc énormément. Et participe à une meilleure perception de soi.

Dépoussiérer une institution

«Et ce n'est pas parce que l'UCBA est centenaire que nous devions organiser un événement poussiéreux», s'exclame Denise Cugini, responsable des relations publiques de l'Union centrale suisse pour le bien des aveugles. Nous voulions que les jeunes puissent s'y retrouver.»

C'est ainsi qu'est né le défilé tactile «Touch and see», un concept inédit en Suisse. Il était destiné aux aveugles et mal-voyants aussi bien qu'aux voyants. Dans le but également de faire comprendre aux voyants ce que ce handicap signifie.

Le défilé a fait salle comble mardi à Zurich. A Lausanne mercredi, les trois quarts des billets avaient trouvé preneur. Aux deux endroits, la part d'aveugles et de mal-voyants était d'au moins un dixième.

«Mais les Suisses romands sont plus timorés que les Suisses-allemands. A Zurich, le défilé a duré plus de deux heures. Plus ça allait, plus le public palpait les vêtements. Les mannequins n'avançaient carrément plus», constate Christian Reymond, dont l'agence Quer design a co-organisé le défilé.

Où la mode se touche

Avant le défilé, les huit jeunes créateurs présentaient quelques modèles sur des mannequins synthétiques.

Autours des îlots, des mal-voyants de tous âges se pressaient, passaient les mains sur les vêtements, humaient les tissus, testaient les formes... Et se faisaient raconter les couleurs et les détails imperceptibles au touché.

C'est alors qu'on se rend compte que les mots manquent aux voyants pour décrire les couleurs. Le vocabulaire est extrêmement limité. C'est quoi le bleu, se demandait par exemple Marie-Pierre?

Francine Roch de FMR Costumes intervient alors pour expliquer que les couleurs se décrivent avec les tripes. Il faut exprimer les émotions qu'elles suscitent pour que les aveugles les comprennent.

Cette éducatrice devenue costumière sait de quoi elle parle. Elle a travaillé pendant dix ans avec des personnes mal-voyantes.

Rapidement, les aveugles font leurs choix. Un tombé particulier les transporte, un tissu les charme. «C'est génial de pouvoir découvrir des tenues de couturiers. Et de m'imaginer les porter, lance, ravie, Marie-Pierre. Ca change du prêt-à-porter!».

Les meilleurs créateurs suisses

Les stylistes sélectionnés pour «Touch and See» sont ceux qui figurent habituellement dans les grands événements de mode suisse. Donc parmi les meilleurs de leur génération.

Ils ont d'ailleurs tous reçu des prix. C'est le cas notamment de Nuit Blanche, Ida Gut ou Rodrigo Soares.

Le créateur zurichois Heinrich Brambilla participe à ce défilé inédit par curiosité. Celle de savoir comment les aveugles choisissent leurs vêtements, seuls ou accompagnés, perçoivent les formes ou les tissus.

«Je suis très visuel. Je ne parle pas beaucoup. Ça m'intéressait donc de regarder la mode sous un autre angle. Ici, je suis obligé d'expliquer mes modèles».

Pour la créatrice de textiles Ursula Spicher, la démarche est plus naturelle. Un tissu se regarde toujours avec les mains.

Mannequins bienveillants

Quant au défilé, pas de podium en vue. Mais des cercles concentriques laissant une étroite travée libre entre les chaises où les mannequins défilent. A la demande, ils s'arrêtent et se laissent frôler ou carrément pétrir.

Deux voix lancinantes accompagnent le cheminement des modèles. La bande-son a été réalisée par des aveugles qui décrivent à leur manière les vêtements.

Au fil du spectacle, les mannequins s'arrêtent automatiquement auprès de certaines femmes, les plus promptes à se lancer, pour leur laisser le temps de sentir leur vêtement. Si ce n'est leur peau nue.

Et peu à peu, les voyants osent à leur tour avancer les mains. Mais timidement.

La plupart des mannequins se sont prêtés au jeu sans problèmes, selon une aveugle. Certains attiraient même leur attention sur des détails du vêtement et le racontaient. Chez d'autres, par contre, elle sentait de la réticence.

Marie-Pierre acquiesce: «Je le comprends bien. C'est que certaines personnes, aveugles ou pas, ont une manière de toucher très intrusive. Moi non plus je n'aimerais pas ça. Mais pour nous aussi, ça peut être gênant. On ne sait jamais où notre main atterrit».

Une chose est sûre, les mannequins, ces icônes glaciales et intouchables, étaient pour une fois nettement moins désincarnées. Et par effet de contagion, les stylistes et les «beautiful people» qui les entourent habituellement beaucoup plus chaleureux et sans prétention.

swissinfo, Anne Rubin

En bref

- L'UCBA est l'association faîtière suisse de prestataires de services pour les aveugles et les mal-voyants.

- L'UCBA compte quelque 4'500 membres.

- Au total, en Suisse, il y a environ 8'000 mal-voyants, dont 6000 aveugles.

- L'UCBA est centenaire cette année.

- Elle organise différents événements à l'occasion, dont un parcours olfactif et acoustique qui sillonnera la Suisse.

- Un timbre tactile a aussi été publié début mars.

- La fédération se bat aussi pour faire valoir les droits des personnes handicapées et favoriser leur intégration dans le monde du travail notamment.

- La prochaine échéance politique d'importance pour l'UCBA: l'initiative populaire «Droits égaux pour les personnes handicapées». Elle passera devant le peuple le 18 mai prochain.

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