Soleure, promenade romaine en ouverture
Les Journées de Soleure se sont ouvertes lundi, en présence de Moritz Leuenberger, avec la projection de «Pane per Tutti».
Rome, ville des dieux et des hommes, déclinée en images et en musique par deux jazzmen et un caméraman suisses.
Fin d'après-midi. La «Reithalle» est pleine. Alors que, souvent, la manifestation démarrait mollement, sans le moindre réel événement, c'est un vrai spectacle qui lance cette 38e édition: un film muet et néanmoins tout neuf, accompagné en direct par cinq musiciens.
Autre nouveauté: pour la première fois dans l'histoire de la manifestation, un conseiller fédéral est présent à l'ouverture: en l'occurrence, Moritz Leuenberger, ministre de l'Environnement, des Transports, de l'Energie et de la Communication.
Discours, tout d'abord. Ruth Grossenbacher-Schmid, présidente de la société des Journées de Soleure. Puis Ivo Kummer, directeur de la manifestation, avec un portrait du cinéma suisse, décrit comme un malade qui, malgré tout, persiste à vivre. Selon lui, dans le rôle du soignant, la télévision. Et dans celui du fossoyeur, Hollywood...
Moritz Leuenberger remporte quant à lui un franc succès avec un discours qui alterne humour et envolées humanistes. Mais si ses propos se concluent par un vibrant hommage au «dialogue des cultures», force est de constater que Soleure a une furieuse tendance à oublier son statut d'événement national: sur les trois allocutions, pas un mot en français, pas un mot en italien.
Complicité musicale
La latinité aura sa revanche avec le premier film de la manifestation: «Pane per Tutti, una ballada per Roma», 76 minutes d'amour offertes à la Ville Eternelle par deux musiciens suisses.
A l'origine de «Pane per Tutti», la complicité de longue date entre le contrebassiste romand Jacques Siron et le pianiste suisse alémanique Christoph Baumann.
Tous deux avaient déjà eu une expérience d'accompagnement musical sur un film muet. Ancien, celui-ci. A l'occasion d'un concert donné il y a deux ans à l'Institut suisse à Rome, naît soudain un projet: poursuivre ce travail en relation avec le cinéma muet, mais cette fois à partir d'images actuelles.
Le patron de l'Institut, Dieter Bachmann, se mue en producteur. C'est lui qui va mettre les deux musiciens en relation avec le caméraman Pio Corradi - auquel d'ailleurs les Journées de Soleure consacrent cette année une rétrospective. L'aventure romaine peut commencer.
Poids de la pierre et art de vivre
Il y a mille façons de filmer Rome. Quelle a été la démarche des trois artistes? «Nous avions envie de parler des pierres - dans notre jargon à nous, le monde des dieux. D'autre part, celui des statues, les demi-dieux. Et enfin, celui des hommes. Nous voulions faire un mélange entre le poids de la pierre et l'art de vivre, merveilleux, des Romains», répond Jacques Siron.
Trois catégories auxquelles on pourrait ajouter les animaux: car les pensionnaires du zoo de Rome, dans le Parc de la Villa Borghèse, sont très présents dans le film... «Egalement des demi-dieux: les intermédiaires entre la pierre et les hommes», constate le bassiste en riant.
Alors, dans des ambiances jazzy débridées ou au fil de chansons italiennes, Rome prend vie sous nos yeux.
Silhouettes de monuments connus, Colisée ou Forum, thermes ou aqueduc... Linge qui pend aux balcons... Silhouettes ondulantes de romaines gravissant des escaliers... Images pieuses dans une vitrine de sous-vêtements... Spectacle presque poétique d'un agent de la circulation plus comédien que policier.
Pio Corradi a favorisé les gros-plans: «On avait envie d'avoir une ambiance un peu abstraite. Travailler sur l'aspect plastique, sans prendre les grandes perspectives qui nous auraient fait tomber dans les points de vue touristiques». La poésie est alors au rendez-vous.
Spectacle vivant
Si, dans sa phase concrète, la musique a été construite dans la dernière phase du travail, elle était présente en germe dans l'esprit des concepteurs aussi bien lors du tournage que du montage.
Lors de la projection, Jacques Siron et Christoph Baumann sont escortés du batteur alémanique Dieter Ulrich, du clarinettiste Gianluigi Trovesi («un des monstres de la clarinette en Europe», dit le bassiste), et de la remarquable chanteuse romaine Lucilla Galeazzi.
«Pane per Tutti» a été présenté en première mondiale à Rome l'année dernière, puis à Genève. Après Soleure, le film-spectacle va continuer sa route, plutôt du côté des scènes que des salles obscures: Jacques Siron et ses collègues privilégient le «spectacle vivant», et l'improvisation que permet leur démarche, même si un canevas musical est bien présent et la synchronisation aux images évidemment rigoureuse.
Quand, ici, le brouillard se fait trop épais, le froid trop mordant, «Pane per Tutti» est à voir absolument. Le rouge décrépit des façades romaines, le langage des mains et le parfum du ristretto vous font d'excellents remèdes.
swissinfo, Bernard Léchot, Soleure

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