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Polar judiciaire: trois fois meurtrier ou innocent?

Manifestation de soutien au prévenu devant le Palais de Justice de Lausanne, le 1er mars dernier. Keystone

La presse suisse a largement couvert cette semaine l’affaire L. qui, à cause d’un témoignage tardif, a donné lieu à un procès en révision devant le Tribunal criminel de Lausanne. Blanc ou noir? Innocent ou coupable du meurtre de sa mère, de l’amie de celle-ci et sa sœur? L’accusé nie et les preuves absolues manquent.

Ce contenu a été publié le 05 mars 2010 minutes

Un crime sans cadavre. Deux vieilles dames assassinées à la veille de Noël. Un suspect tout désigné, car susceptible d’hériter d’un pactole immobilier de dizaines de millions de francs…

Digne d’un roman policier, l’affaire est pourtant authentique. La scène du crime se passe à la fin de l’année 2005 dans une villa cossue de Vevey, au bord du Léman. C’est là que vit une octogénaire, veuve d’un architecte qui a accumulé une confortable fortune immobilière. Elle doit passer les fêtes de Noël avec Marina, son amie d’origine péruvienne, veuve elle-aussi, ainsi qu’avec sa fille Marie-José, une femme-médecin dans la cinquantaine qui vit avec elle.

Cette dernière a été vue faisant ses courses autour de midi dans un grand centre commercial de Vevey. Une webcam en témoigne. Ce seront les dernières images de la victime, vraisemblablement assassinée peu après.

Un double visage?

Passent les Fêtes de fin d’année. Ce n’est qu’onze jours plus tard, le 4 janvier 2006, que la police retrouve les corps fracassés des deux vieilles dames, celui d’un chien mort d’inanition et d’un autre dans un triste état. De la fille Marie-José, on a perdu toute trace malgré de nombreux appels au public.

Immédiatement, les soupçons se portent vers le fils adoptif de la victime, François L., 41 ans, récemment brouillé avec sa mère et sa sœur en raison de ses demandes répétées d’argent frais. Cousu de dettes («il avait le couteau sur la gorge»), il n’arrive plus à faire face à ses hypothèques.

A l’audience, des témoins ont évoqué son double visage, d’un côté gentillesse et douceur, mais aussi un côté obstiné, voire violent, lorsqu’on ose lui résister: «S’il était libéré, je craindrais pour ma vie», a accusé le frère aîné, que François a réussi à faire déshériter. On le constatera à l’ouverture du testament de leur mère.

Des traces de sang et d’ADN

Les enquêteurs vont découvrir un certain nombre d’indices autour des deux corps, malgré les signes de putréfaction. Une dizaine de jours après le drame, on retrouvera de faibles traces d’ADN de l’accusé autour du col de la chemise de nuit maternelle. D’autres traces d’ADN seront relevées plus tard sur la lame d’une paire de ciseaux retrouvée sous le corps de la vieille maman.

«J’ai peut-être touchés ces objets quand j’habitais encore dans la villa, des mois en arrière», se défend l’accusé. L’après-midi du 24 décembre, l’amie de François avait remarqué une griffure à l’œil: «l’œuvre de mon chien », avait-il affirmé. Et des taches sombres sur T-shirt bleu. Le corps de l’amie a aussi été déplacé, pour faire croire à une chute au bas de l’escalier.

Des touffes de cheveux de la sœur ont été retrouvées dans la main de la mère. Pour détourner les soupçons sur la sœur? Les racines n’étaient pas toutes disposées dans le même sens: les cheveux semblent avoir été prélevés sur une brosse de la disparue. Des traces de sang ont été effacées, des objets ont disparu, dont la literie et divers objets.

A défaut de preuves formelles, l’enquête exclut le geste d’un cambrioleur surpris en flagrant délit – on a retrouvé sur place des liasses de billets – ou celui de la fille, qui aurait été prise d’un coup de déprime ou de folie: «Est-ce qu’on cherche à effacer les traces, si l’on va se suicider ou disparaître à jamais?», s’est interrogé le procureur Eric Cottier.

La mémoire de la «boulangère»

Et l’alibi apporté par l’aide-vendeuse à la télévision qui a entraîné la révision du procès? «Pas crédible», estiment le procureur et les parties civiles. Une vieille dame ne va pas acheter des chocolats en plein boom de fermeture de Noël, chargée de paquets et à pied, à l’autre bout de la ville, alors qu’elle ne se déplace qu’en voiture. De bonne foi, la vendeuse aurait confondu avec le 23 décembre, veille du crime où elle est rendue chez le coiffeur du quartier.

L’accusé qui a épuisé un bataillon d’avocats depuis son arrestation paraît insensible à la mort de sa mère et la disparition de sa sœur, semblant pleurer davantage sur son propre sort. Durant l’enquête, il a réclamé son droit au silence avant de changer de version, niant être jamais allé sur les lieux du crime, un fait qu’il avait admis dans un premier temps.

Loin de «clamer» son innocence, il prend des notes, se lance dans des tirades compliquées et cherche à dévier les soupçons tantôt sur sa sœur, tantôt sur son frère auquel il voue une haine largement partagée: «Un latin exprimera beaucoup plus ses émotions que des Japonais ou des Indiens. Il est introverti, il retient ses émotions. Ce n’est pas pour autant qu’il ne les ressent pas», plaide l’un de ses avocats, Me Assaël, ténor du barreau genevois.

Très suivi par un nombreux public et par le journal 24 heures qui rapporte heure par heure le déroulement sur son site internet, le «remake» du procès (selon l’expression du procureur) laisse planer le suspens. La tâche du jury populaire sera délicate. Il n’y a pas de demi-mesures possibles, ce sera noir ou blanc. L’accusé ne peut être qu’innocent ou coupable, et notamment d’un crime sévèrement puni, celui de matricide.

Le jugement – acquittement ou prison à vie? – est attendu le 18 mars.

Olivier Grivat, swissinfo.ch

Chronologie d’une tuerie

24 décembre 2005: entre midi et 13 h, heures présumées du triple drame.

4 janvier 2006: après les Fêtes de fin d’année, les corps de deux octogénaires: Ruth L. et son amie Marina Studer, d’origine péruvienne, sont retrouvés par la police au pied d’un escalier à l’intérieur d’une villa de Vevey. Des appels sont lancés pour retrouver la fille de Ruth L., une femme-médecin âgée alors de 56 ans et portée disparue depuis lors.

6 janvier 2006: première interpellation du suspect François L., le fils adoptif de la victime, d’origine indienne, 41 ans au moment du drame.

4 février 2006: arrestation de François L. et mise en détention préventive.

juin 2008: premier procès à Vevey, qui voit François L. condamné à la réclusion à vie pour meurtre et double assassinat.

28 décembre 2008: l’émission de la Télévision suisse romande «Zone d’ombre» diffuse le témoignage d’une aide-vendeuse de boulangerie qui assure avoir servi la mère et la fille L. le 24 décembre vers 16 h 45, remettant en cause la chronologie du drame admise par le Tribunal de Vevey.

5 juillet 2009: la Chambre de récusation entend le témoignage de la vendeuse et décide de procéder à une révision de l’affaire.

mars 2010: deuxième procès devant le Tribunal criminel de Lausanne et audition de la vendeuse qui persiste et signe. Le procureur plaide l’erreur de date de la vendeuse (23 décembre et non 24) et maintient sa réquisition portant sur un double assassinat (la mère et la fille) et un meurtre, celui de l’amie péruvienne. Il requiert à nouveau la réclusion à vie.

18 mars 2010: date fixée pour le nouveau verdict des quatre juges et des 8 membres du jury.

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