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Difficile d'abuser de l'hormone de la confiance

Keystone

Et si l’on se servait de l’hormone qui met en confiance pour vendre des marchandises ou des idées? Risque négligeable selon les scientifiques.

Ce contenu a été publié le 01 juillet 2005 minutes

Une équipe zurichoise a mis à jour une propriété jusque là inconnue de l’ocytocine, hormone des contractions d’accouchement et de l’allaitement: elle aide ceux qui en reçoivent à faire confiance à des inconnus.

Au début du mois, la très sérieuse revue britannique Nature a publié les travaux d’une équipe de l’Institut pour la recherche empirique en économie de l’Université de Zurich intitulée «l’ocytocine augmente la confiance chez les humains».

L’ocytocine est une vieille connaissance des scientifiques. En 1955, sa synthèse a valu un Prix Nobel au biochimiste Vincent du Vigneaud. Chez les femmes, cette hormone secrétée par l’hypothalamus (une glande du cerveau) favorise les contractions d’accouchement et l’allaitement.

On sait qu’elle favorise également les liens sociaux et familiaux et qu’elle est produite en abondance au cours d’un orgasme. Ce n’est donc pas par hasard qu’elle a été surnommée «hormone de l’amour».

Et depuis peu, on aurait également des raisons de la nommer «hormone de la confiance» - l’un et l’autre, il est vrai, allant souvent de pair.

Question de relation personnelle

Formée d’économistes et de psychologues cliniciens, l’équipe zurichoise emmenée par Ernst Fehr a testé la capacité de l’ocytocine à augmenter la confiance sur un groupe de 58 personnes.

La moitié ont reçu une dose d’hormone sous forme de spray nasal et l’autre moitié un simple placebo. On a ensuite mis les volontaires en présence d’un inconnu, tenant le rôle d’un banquier à qui on leur demandait de confier leur argent à fins d’investissements. Résultat: 13 cobayes ayant reçu l’ocytocine ont choisi de faire confiance au faux banquier, contre 6 dans l’autre groupe.

L’expérience a ensuite été renouvelée avec un programme informatique en lieu et place du «banquier». Ici, pas de différence significative, ce qui tendrait à prouver que l’ocytocine pousse à la confiance uniquement dans une relation de personne à personne.

Pour Ernst Fehr et son équipe, ces premiers travaux ouvrent d’intéressantes perspectives, notamment dans le traitement des patients souffrant de phobies sociales, voire d’autisme.

Des conjectures, pas des preuves

Mais on voit également très vite sur quelles utilisations abusives pourrait déboucher cette découverte. Par exemple dans le cadre d’une campagne électorale, ou lors de la conclusion d’une transaction commerciale. Un petit «sniff» d’ocytocine et hop!, le candidat ou le vendeur paraissent tout de suite nettement plus dignes de confiance.

A ce stade toutefois, les chercheurs zurichois n’ont pas la prétention d’avoir apporté une preuve définitive de l’action de l’«hormone de la confiance». Selon Michael Kosfeld, collaborateur d’Ernst Fehr et co-signataire de l’article paru dans Nature, il s’agit tout au plus de «conjectures», dont la vérification prendra encore «des années de recherches».

«Notre projet de recherche a été agréé par la Commission d’éthique du Canton de Zurich avant que nous commencions les expériences, comme cela est la règle», précise Michael Kosfeld,

Prise nasale ou intraveineuse

Président de la Commission centrale d’éthique de l’Académie suisse des sciences médicales, Michel B. Vallotton ne se dit quant à lui «pas spécialement inquiet» du mauvais usage qui pourrait être fait de l’ocytocine.

«C’est un tout petit peptide, qui ne survit pas à l’action des acides gastriques, précise le professeur. On ne peut donc l’administrer que par voie nasale ou en intraveineuse. Difficile donc de faire ça à l’insu des gens».

Pas possible non plus de la faire inhaler au public d’un meeting par exemple en la diffusant dans la salle, puisque la molécule ne survit que 2 à 3 minutes à l’air libre avant de se désagréger. De plus, son effet est plutôt fugitif. En moins d’une heure, le sujet qui en a reçu une dose ne sent plus rien.

«Il existe des substances bien plus dangereuses, rappelle Michel B. Vallotton. Je pense ici à certaines drogues psychotropes, comme la tristement célèbre "pilule du violeur"».

«On peut toujours abuser la confiance des gens, cela existe déjà», ajoute Michael Kosfeld. Il n’est qu’à penser à certaines images utilisées en publicité, notamment érotiques. Celui qui les contemple va sécréter naturellement des hormones euphorisantes qui vont l’amener à modifier son comportement.

Risque minime

«Tout ce qui peut être fait de mal à partir d’une découverte sera fait, note, fataliste, le chercheur zurichois. Mais dans le cas de l’ocytocine, le risque est vraiment minime.»

Quoi qu’il en soit, l’«hormone de la confiance» est déjà disponible sur le marché, délivrée uniquement sur ordonnance aux femmes qui ont des difficultés à allaiter. «Ce sera aux médecins de bien veiller à ne pas la prescrire pour autre chose», avertit Michael Kosfeld.

Ron Stoop, chercheur aux Centre de neurosciences psychiatriques de Lausanne, ne voit lui non plus pas de danger majeur à la lecture de l’article de Nature. Il note même au passage que les revues scientifiques ont désormais pour politique d’opérer une certaine sélection dans ce qu’elle publient, au nom de la lutte contre le terrorisme.

Le neurophysiologiste préfère insister sur la contribution apportée par l’équipe zurichoise à la compréhension du fonctionnement du cerveau humain.

«Le plus on en saura, le mieux ce sera. Et je trouve particulièrement intéressant que cette contribution ait été amenée par des économistes et des psychologues. Travailler ainsi de manière transdisciplinaire, c’est admirable, et tout à fait encourageant», se réjouit Ron Stoop.

swissinfo, Marc-André Miserez.

En bref

- L’expérience menée par l’équipe d’Ernst Fehr à Zurich ouvre des perspectives dans le domaine des neurosciences, un secteur de la médecine en plein développement.

- L’étape suivante devrait être la détection, grâce à l’imagerie cérébrale, des zones du cerveau dans lesquelles agit l’ocytocine.

- On pourra ainsi étudier les modifications que cette hormone induit dans les réseaux de neurones qui régissent les situations sociales et émotionnelles liées à la confiance.

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