Rolf Kesselring: Noël noir
«Cartes postales» de créateurs suisses expatriés... Rolf Kesselring, écrivain, ancien éditeur, nous adresse son courrier de la région de Nîmes.
Toutes les années c'est la même chose. Viennent les froidures et le verglas et j'y pense. Arrivent la grisaille et le gel et je prends ma plus jolie plume pour lui écrire un mot.
C'est facile, l'adresse ne change pas «Père Noël, au Pôle Nord»... Il y a belle lurette que, dans ces lettres intermittentes, je ne lui demande plus ni jouets ni cadeaux, il a déjà tellement de boulot. Et puis, depuis une soirée mémorable, il y a quelques décennies, il est devenu un vrai pote.
C'était en mille neuf cent... Il était arrivé chez moi épuisé, malade. Je l'avais fait asseoir dans la grande pièce et lui avais proposé un peu de vin chaud de ma composition. Deux heures plus tard on était copains comme cochons... et bourrés comme des ânes. Depuis, je lui mets toujours un petit mot d'encouragement à l'orée de cette période.
Cette année, surprise! J'ai reçu une réponse; et par e-mail! Je ne savais pas que le Père Noël utilisait la toile! Ce n'était pas lui qui m'écrivait, mais une certaine «Fatoumah, Mère Noël par intérim». En fait, je compris vite qu'elle me contactait depuis l'Afrique. Etonné, je lui retournai un message pour lui demander ce qui se passait. Elle me répondit en m'appelant à l'aide: «Si vous êtes un ami du Père Noël, venez à son secours : il est en Prison»!
Le Père Noël en taule! Jugez de ma stupeur. A force de questionner, je finis par comprendre qu'à défaut de Ben Laden, les Américains amers avaient arrêté le bonhomme. L'acte d'accusation lui reprochait un énorme détournement de fonds. Ému sans doute par la misère du monde, le Père Noël avait piqué les joujoux destinés aux gosses d'Occcident. Il avait même chouré leurs chaussures et revendus le tout.
Avec l'argent ainsi récolté, il avait acheté des vivres, des vêtements et des médicaments et les avait fait distribuer aux enfants du Tiers-Monde par des amies, des amis. Fatoumah en était une.
Le Président des Etats-Unis - un certain Georges W. Bush - avait mal pris la chose. Il l'avait fait mettre sur la liste des terroristes à éliminer. Lors d'une de ses tournées dans les ghettos de Washington, le FBI l'avait piégé et arrêté. Ils l'avaient enfermé dans une prison d'Etat.
C'était inacceptable. Je ne pouvais rester inactif... Désormais, je fais signer des pétitions pour exiger sa libération. Et ça marche! J'accumule des millions de signatures. À tout hasard, si mon action légale ne donne rien, je forme aussi des pilotes capables d'atterrir sur le toit d'un pénitencier pour arracher un prisonnier.
Le plus extraordinaire dans cette histoire, c'est que les enfants d'Occident qui, d'après le Président Bush, seraient les malheureuses victimes de ce détournement grandiose, signent toutes mes listes des deux mains. Ils me proposent même de venir s'entraîner pour faire évader le vieil homme.
Rolf Kesselring

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