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Rapport Bergier: la déclaration du Conseil fédéral

Voici, dans son intégralité, la déclaration du Conseil fédéral à l'occasion de la publication du rapport de la Commission Bergier intitulé «La Suisse et les réfugiés à l'époque du national-socialisme».

Ce contenu a été publié le 10 décembre 1999 minutes

Voici, dans son intégralité, la déclaration du Conseil fédéral à l'occasion de la publication du rapport de la Commission Bergier intitulé «La Suisse et les réfugiés à l'époque du national-socialisme».

«Le rapport de la Commission indépendante d'experts (CIE) représente une contribution fondamentale à une meilleure connaissance de la politique d'asile suisse au temps du national-socialisme. Le Conseil fédéral remercie les spécialistes suisses et étrangers qui ont participé aux travaux de la Commission présidée par le Professeur Jean-François Bergier.

Une très grande majorité de notre population a rejeté l'idéologie raciste des nazis. Quant à notre pays, en dépit des circonstances très difficiles auxquelles il se trouvait confronté, il a su rester un îlot de liberté et de démocratie au coeur d'une Europe livrée à la barbarie nazie. Le Conseil fédéral rend hommage à nos concitoyens de l'époque, qui y ont contribué. Un nombre important de réfugiés civils et militaires a été accueilli en Suisse. Le Conseil fédéral se joint aux réfugiés qui se souviennent avec gratitude et respect de celles et ceux qui les ont aidés à trouver refuge en Suisse et à y vivre.

Le rapport nous rappelle que la Suisse, en cette sombre période de l'histoire de l'humanité, n'a pas répondu autant qu'elle aurait pu et dû le faire à sa tradition humanitaire. Le Conseil fédéral en a pleine conscience. C'est pourquoi il tient à rappeler les excuses prononcées en son nom en 1995 par le président de la Confédération. Ces excuses conservent toute leur pertinence à la lumière du présent rapport. Rien ne peut réparer les conséquences des décisions prises alors et nous nous inclinons respectueusement devant la douleur de ceux qui, s'étant vu refuser l'accès à notre territoire, ont été abandonnés à d'indicibles souffrances, à la déportation, à la mort. Notre politique de l'époque a aussi été marquée par des erreurs, des omissions et compromissions. Le rapport souligne le rôle joué par les autorités et l'administration de l'époque face à la question des réfugiés. La CIE a choisi une approche critique de ce domaine sensible, plaçant les victimes du national-socialisme au centre de la recherche. Le Conseil fédéral est conscient qu'aucune recherche historique ne peut prétendre donner un tableau complet de la réalité. Toutefois, en présence d'un rapport aussi volumineux, il estime qu'il aurait été souhaitable de tenir davantage compte, dans l'appréciation de la politique suisse, du cadre international. En effet, la problématique des réfugiés à l'époque du national-socialisme est marquée par l'échec collectif des politiques d'asile des Etats d'alors qui, à l'encontre des principes humanitaires et éthiques, eurent pour effet d'abandonner des centaines de milliers de personnes sans défense à la barbarie nazie.

En outre, l'optique choisie conduit à mettre au second plan des réalités historiques indéniables, telles les peurs que suscitait la menace qui pesait sur la Suisse, l'incertitude de l'avenir ou encore la nécessité de maintenir des échanges économiques avec l'étranger pour assurer la survie du pays. On le sait, cette situation et ces craintes ont amené la Suisse à faire des concessions. Dans le cadre de cette prise de conscience, s'il serait à l'évidence erroné de ne souligner que les aspects positifs de l'histoire de l'époque, il n'en serait pas moins faux de n'en mettre en évidence que les aspects négatifs. Au contraire, l'examen du comportement de la Suisse officielle durant ce pénible chapitre de notre histoire doit s'effectuer avec un constant souci d'objectivité, à la lumière du présent rapport ainsi que des nombreuses investigations qui l'ont précédé. Le Conseil fédéral invite les historiens à poursuivre dans cette voie et les citoyennes et citoyens à se pencher avec intérêt sur notre histoire.

Pour la première fois, les travaux de la CIE comportent un volet juridique, sous forme d'un avis de droit établi par le Professeur Walter Kälin, annexé au rapport. Cette étude confirme que les autorités ont agi pour l'essentiel conformément au régime des pleins pouvoirs en vigueur durant la guerre ainsi qu'aux normes du droit international qui constituaient le standard universel à l'époque. Ces conclusions ne sauraient toutefois dispenser la Suisse - pas plus que d'autres Etats - de l'obligation de prendre conscience de la dimension morale de son comportement d'alors.

Tirant les leçons des importantes lacunes du droit international de l'époque, la communauté internationale a depuis lors développé de nombreuses règles en la matière. Le Conseil fédéral note en particulier que l'adoption de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés a instauré un cadre juridique précis pour la reconnaissance de la qualité de réfugié. Plus récemment, le principe du «non-refoulement» a progressivement été reconnu comme une norme du droit international coutumier à laquelle aucune dérogation n'est permise. La Suisse s'est associée à cette évolution, à laquelle elle a parfois donné des impulsions décisives, singulièrement dans le domaine du droit international humanitaire. De nos jours, elle est partie aux principales conventions de protection des droits de l'homme. Elle est aussi le dépositaire des Conventions de Genève sur le droit humanitaire. Parallèlement, la Suisse a mis en place les mesures nécessaires au respect du principe du «non-refoulement» ainsi que les ressources matérielles et en personnel lui permettant de disposer d'une procédure d'asile équitable avec un contrôle judiciaire. Elle dispose enfin d'une disposition pénale moderne, réprimant la discrimination raciale. La prise de conscience que suscite un tel rapport ne doit pas nous induire à juger les responsables d'alors sur la base des sensibilités contemporaines. Au contraire, elle doit nous engager pour l'avenir, afin de ne jamais répéter les erreurs du passé. Pour le Conseil fédéral, c'est l'occasion de confirmer l'engagement de notre pays au service des droits de l'homme. En coopération avec les autres Etats, la Suisse entend poursuivre sa contribution au développement continu d'un ordre juridique international protégeant chaque individu de toute forme de persécution et de violence. Dans ce même esprit, le Conseil fédéral entend renforcer son soutien au développement de la sensibilisation en matière de droits de l'homme et de prévention du racisme. Il concrétisera les modalités de ce soutien dans les prochains mois, en collaboration avec les cantons et les organisations intéressées.

A l'aube d'un nouveau millénaire, notre pays se doit d'être l'un des moteurs dans l'immense tâche qu'est la promotion du respect de la dignité humaine et de la paix entre les peuples. L'on ne saurait toutefois aborder ce défi sans préserver la mémoire des leçons de toutes les tragédies que notre siècle a engendrées. Nous devons cet acte de mémoire au souvenir des victimes. Nous le devons aussi et surtout à nous-mêmes et à nos descendants.»

Déclaration du Conseil fédéral après la publication du rapport Bergier «La Suisse et les réfugiés à l'époque du national-socialisme».

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