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Berlusconi déchu, mais pas politiquement mort

Evincé du Sénat, Berlusconi a tenu un meeting devant sa résidence à Rome pour ses supporters inconditionnels. AFP

La déchéance parlementaire de Silvio Berlusconi ne signifie pas encore sa fin politique. C’est l’avis qui prévaut dans les commentaires de la presse suisse au lendemain du vote du Sénat italien. Selon les éditorialistes, le «Cavaliere» a encore le pouvoir de diviser la Péninsule.

Ce contenu a été publié le 28 novembre 2013 minutes
swissinfo.ch

«L’Italie a tourné hier une page de son histoire politique qui durait depuis vingt ans. A 17 h 43, le Sénat a voté la déchéance parlementaire de Silvio Berlusconi en vertu de sa condamnation pour fraude fiscale […]. L’alliance entre le Parti démocrate et le Mouvement 5 étoiles ne laissait aucune chance au ‘Cavaliere’, qui a été exclu par 191 voix contre 113», écrivent 24 heures et La Tribune de Genève. Absent de la salle, Silvio Berlusconi a évité «l’affront d’être raccompagné hors de l’hémicycle entre deux commis, tel un voleur de poules entre deux gendarmes. ‘Petite’ consolation pour lui: il touchera une indemnité de 180’000 euros et une retraite de 8000 euros par mois».

Une retraite que l’ancien chef du gouvernement ne semble pas prêt à prendre, malgré les conseils de son médecin, qui lui a prescrit, à 77 ans, de se reposer et de prendre du recul. Il est aussitôt entré en campagne en vue d’élections qu’il espère proches. En effet, notent encore les deux journaux romands, «même exclu du parlement, Berlusconi dispose de moyens financiers et d’un appareil médiatique unique en Europe. […] Et les sondages lui sont favorables. La droite est en progrès et dépasse désormais nettement la gauche dans les intentions de vote. Berlusconi n’a pas dit son dernier mot».

Pas de quoi jubiler

Pour les quotidiens alémaniques Neue Luzerner Zeitung, Südostschweiz et Aargauer Zeitung, l’éviction de Berlusconi, «est certainement une nouvelle positive pour l’Italie. Le multimilliardaire égocentrique qui pendant 19 ans a considéré l’Italie comme un magasin self-service, a sali la réputation du pays avec ses affaires et l’a conduit au bord de la ruine, est enfin hors circuit».

Pour autant, notent les trois journaux dans leur éditorial commun, «cette éviction ne prête pas vraiment à jubiler. Car Silvio Berlusconi quitte la scène ‘sans avoir été battu sur le terrain’. Aux élections du printemps dernier, son parti a fait pratiquement jeu égal avec les socialistes et le mouvement protestataire 5 étoiles de Beppe Grillo». Et la gauche ne peut s’en prendre qu’à elle-même, car si les électeurs italiens se sont laissés charmer par Berlusconi, «sa force a toujours et d’abord été l’effrayante faiblesse de ses adversaires. […] Et tant que cette faiblesse et cette désunion persistent, il est prématuré de rayer définitivement Berlusconi de la carte».

«Sans dignité»

Analyse similaire dans le Tages-Anzeiger de Zurich, pour qui le sénateur déchu a encore le pouvoir de diviser l’Italie. «Lui qui dans les six derniers mois a déjà pris le gouvernement et le pays en otages pour protéger ses intérêts personnels, va maintenant utiliser cette énergie pour provoquer de nouvelles élections. […] Comme Beppe Grillo - lui aussi condamné par la justice et inéligible -, mais avec d’énormes moyens financiers et médiatiques, Berlusconi va lui aussi montrer comment on peut être fort en faisant de la politique hors du parlement, sur la place publique».

Le Bündner Tagblatt émet des doutes sur cette faculté de rebondir de Berlusconi. «Certes, à l’heure de Facebook et de Twitter, ce ne devrait pas être un problème insurmontable, écrit le quotidien grison, mais reste à voir s’il arrivera à mobiliser sa base au Nord et à provoquer de nouvelles élections sans être lui-même tête de liste. Ou peut-être est-il trop vieux, trop usé, plus à la hauteur pour les Italiens? La force de Berlusconi a longtemps résidé dans ses électrices et ses électeurs. S’il les perd maintenant, alors il sera vraiment déchu».

La Neue Zürcher Zeitung salue quant à elle un «Cavaliere sans dignité», qui vient de faire perdre une année à son pays. Un pays «toujours profondément enfoncé dans la crise, où les réformes se font attendre. Le gouvernement, à peine un an après les élections, n’est toujours pas stable et sa marge de manœuvre reste limitée. On ne crée pas de places de travail et la dette publique se creuse. L’année écoulée est une année perdue, où tout a tourné autour de Berlusconi et de ses problèmes avec la justice. Et malgré cela, il n’est toujours pas parti».

Décadence

Le Corriere del Ticino met en garde contre «l’insidieux chemin de la rancœur», le risque de voir l’ancien chef du gouvernement «se mettre à la tête d’une mêlée querelleuse et agressive, poussé par un bien peu noble sens de la rancœur et de la vengeance. Et le danger existe également de voir Berlusconi en rajouter au populisme de Grillo et conspirer contre les partis du centre pour rendre le pays ingouvernable».

La Liberté se soucie également de l’avenir de l’Italie. Si le feuilleton Berlusconi doit encore connaître quelques épisodes, qu’adviendra-t-il ensuite? «Le climat politique italien va-t-il enfin pouvoir s’apaiser? Rien n’est moins sûr, craint le quotidien fribourgeois. Les prochains mois seront déterminants, tant les quadras désormais aux commandes à Rome (le premier ministre Letta et son second, Angelino Alfano) forment un tandem voué à jouer les Romulus et Remus. Leurs intérêts communs, dans la chute du Cavaliere, vont se heurter de front dès lors qu’on abordera les réformes de fond promises. Sans oublier ce tragique penchant de la classe politique italienne à tomber dans l’anathème. A l’exemple de la députée Alessandra Mussolini, qui qualifiait hier encore Alfano de ‘piranha’. Morale du jour: quand le caïman (déchu) suffoque dans le filet des juges, les poissons voraces montrent les dents…»

«Décadence». La RegioneTicino «ne trouve pas de terme plus juste pour qualifier l’Italie d’aujourd’hui». Pour le quotidien, la fin de Berlusconi n’est pas la fin du berlusconisme, tant «les toxines s’en sont diffusées dans le discours public, dans la politique et dans la société. Ainsi, la décadence de Berlusconi ne résout pas les contradictions d’un pays qui l’a élu et réélu, pas plus qu’elle n’absout de ses responsabilités une classe politique qui a caché sa propre petitesse derrière lui».

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