«Il faut revoir les bases du politique à Madagascar»
Depuis la prise de pouvoir d’Andry Rajoelina en 2009, Madagascar est embourbé dans une crise politique sans précédent. Pour le professeur Raymond Ranjeva, avant de convoquer de nouvelles élections, il s’agit de refonder l’Etat de droit sur la Grande Ile.
Au deuxième étage d’une bâtisse du centre-ville d’Antananarivo, la capitale, se tient en cette fin de mois d’août 2011 une réunion entre représentants de différents courants politiques et organisations de la société civile malgache. Initiée par Raymond Ranjeva, la rencontre a pour but de partager les points de vue sur un projet de «réconciliation nationale», destinée à sortir Madagascar, qui fut longtemps un pays prioritaire de la coopération suisse, de la grave crise politique qui l’affecte depuis près de trois ans.
Certains l’accusent de rouler pour l’ancien président Marc Ravalomanana, contraint à l’exil et dont le retour fait partie pour beaucoup d’un préalable à la sortie de crise. Lui dit œuvrer pour une «transition neutre» englobant tous les acteurs de la société malgache. Mais Raymond Ranjeva peine cependant à masquer son hostilité à l’égard d’Andry Rajoelina, qui s’est accaparé le pouvoir en 2009 avec l’aide de l’armée.
Ancien vice-directeur de la Cour internationale de justice (CIJ) et descendant de la famille royale, Raymond Ranjeva dispose d’une grande crédibilité auprès de la communauté internationale. Son action suffira-t-elle à sortir le pays d’une crise politique qui affecte profondément la société et l’économie de tout un pays?
swissinfo.ch: D’Europe, on peine à comprendre ce qui se passe à Madagascar. Comment décririez-vous la situation actuelle?
Raymond Ranjeva: Cette crise est effectivement difficile à comprendre. Au préalable, il est nécessaire de se poser deux questions: quelle était la véritable ampleur du mouvement populaire qui a conduit à la chute de Marc Ravolomanana? Et ensuite, quelle était la cause de ce mouvement? Lors de la prise de pouvoir d’Andry Rajoelina, les principaux bailleurs de fonds internationaux ne se cachaient pas d’avoir déjà envisagé la chute de Ravolomanana depuis quelques mois. Les émeutes de janvier 2009 n’ont été que le couronnement de leurs actions.
Un pays qui souffre
Depuis la prise de pouvoir opérée par le maire d’Antananarivo Andry Rajoelina en 2009, Madagascar vit une crise politique sans précédent. Le pays subit depuis des sanctions de la communauté internationale, réduisant fortement la capacité du gouvernement, qui dépendait pour 70% de l’aide extérieure avant la crise.
La crise a entraîné un ralentissement économique, se traduisant par la perte de dizaines de milliers d’emplois. Selon le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation de l’ONU, Olivier de Schutter, la principale victime de ces sanctions est la population malgache, estimée à 20 millions d’habitants, et dont les trois-quarts vit avec moins d’un dollar par jour.
L’indice de développement humain de l’ONU classe le pays à la 135e place sur 169. 35% des ménages malgaches sont considérés en insécurité alimentaire et 48% y sont vulnérables. Cette proportion atteint 68% dans le sud de l’île. La malnutrition chronique affecte 49% de la population.
Madagascar est régulièrement exposée aux catastrophes naturelles telles que sécheresse récurrentes, cyclone ou invasions acridiennes. Les menaces sur les écosystèmes, la déforestation et une mauvaise gestion du sol accentuent cette vulnérabilité.
End of insertionswissinfo.ch: Cette crise n’est pas la première que connaît le pays…
R.R.: Fondamentalement, la crise malgache est une crise à répétition. Tout simplement parce que nous n’avons pas eu le temps de réfléchir aux problèmes fondamentaux de l’Etat depuis notre indépendance en 1960. Quel type de société, quel type de pacte social voulons-nous ériger à Madagascar? La seule fois où une telle discussion a pu avoir lieu, ce fut en 1973, au moment du passage de la première République au régime du général Ramanantsoa. Mais ces débats ont été escamotés, car les partis politiques ont eu peur qu’un nouveau pacte social et politique n’entraîne l’avènement d’une nouvelle classe de dirigeants politiques et ne remette en cause leur situation de rente.
On a ensuite vécu sur cette lancée. A chaque crise, on a refait les constitutions. Mais les problèmes de fond qui minent la société malgache n’ont jamais été résolus. La nature du pouvoir, fondamentalement clientéliste, n’est pas fondée sur une morale de résultats mais sur une morale d’intentions. Il est nécessaire de revoir les bases même du politique à Madagascar et c’est à quoi un régime de transition devrait normalement s’atteler. Autrement, le passage à la 4e République ne sera que le report à une date plus ou moins rapprochée de la survenance d’une nouvelle crise.
swissinfo.ch: Ces crises à répétition reflètent-elles des divisions profondes au sein de la société malgache?
R.R.: Il est nécessaire de faire la distinction entre les partisans politiques et l’ensemble de la société. Les hommes dits politiques n’ont jusqu’ici jamais eu la stature d’hommes d’Etat. Ce sont surtout des anciens fonctionnaires, réactifs, non créateurs, et incapables d’avoir une vision large de la société malgache. Il faut également reconnaître que la population est actuellement lasse, non pas des querelles politiques, qui ne les a jamais touchée, mais de la dégradation permanente du tissu économique.
Quant au problème du développement, il n’a pas été abordé de front. Comment imaginer le développement d’un pays sans création d’une demande solvable? On a préféré faire valoir les intérêts d’une économie de spéculation, une économie de comptoir. Le drame, c’est que le régime de Marc Ravalomanana s’est distingué par la remise à plat des bases de l’économie malgache. Mais en faisant cela, il a perturbé beaucoup de rentes de situation, créant un phénomène de déstabilisation et réunissant ainsi dans une coalition les opposants à cette vision.
swissinfo.ch: N’exagérez-vous pas le rôle joué par Marc Ravalomanana?
R.R.: Sous son autorité, le développement rural a pour la première fois été une réalité, car les commerçants et paysans malgaches n’acceptaient plus de vendre leurs produits à perte.
Aujourd’hui, on assiste à un désinvestissement et à la disparition du développement rural. Les produits de fabrication locales n’existent plus sur le marché, sans parler des pertes d’emplois et de l’exclusion des circuits financiers sains internationaux. Je n’ai jamais connu une telle situation de régression économique et sociale à Madagascar. Le pouvoir politique est otage du pouvoir économique.
swissinfo.ch: Que préconisez-vous pour sortir de cette impasse?
R.R.: Nous menons une démarche fondée sur la conciliation, au sens du droit international. Durant la transition neutre, il faudra imposer un moratoire sur tous les débats politiques et économiques, et revenir à l’Etat de droit, l’idéologie la plus simple. Pour cela, il suffira de démanteler la législation scélérate. Alors seulement, on atteindra l’apaisement. Et cela concerne non seulement les partis malgaches, mais aussi l’ensemble des protagonistes dans la crise.
swissinfo.ch: Andry Rajoelina souhaite organiser rapidement de nouvelles élections. Pourquoi lui mettre les bâtons dans les roues?
R.R.: Je vous réponds sur le ton de la plaisanterie. Dans un match, est-il possible d’être à la fois joueur et arbitre? Les expériences récentes sur le continent africain ont démontré que des élections préparées dans la hâte et la précipitation sont davantage source de problèmes que de règlements de différents.
swissinfo.ch: Quelles sont vos ambitions personnelles?
R.R.: Je veux uniquement sortir le pays de la crise. Je suis déjà trop vieux pour envisager une carrière présidentielle.
swissinfo.ch: Et comment se présente la conciliation appelée de vos vœux ?
R.R.: Je préfère garder le silence là-dessus, la discrétion étant la principale règle de toute conciliation. Beaucoup de gens se posent des questions à mauvais escient, car ils ne connaissent pas le concept de conciliation. Je peux toutefois vous dire que je me base sur de précédentes expériences que j’ai eu à gérer lors de mon mandat à la Cour internationale de justice.
La Suisse et Madagascar
Histoire. La coopération suisse à Madagascar remonte à la fin des années 60 et s’est développée dans les années 70 pour déboucher sur l’ouverture d’un bureau de coopération sur la Grande Ile. Durant les années 80, les actions entreprises par la coopération suisse ont surtout porté sur la gestion durable des ressources naturelles, la recherche agricole, l’eau potable et la santé.
Retrait. Suite à l’assassinat du coopérant suisse Walter Arnold en 1996, la Direction du développement et de la coopération (DDC) a fermé son bureau à Antananarivo et Madagascar a été rayée de la liste des pays prioritaires de la Confédération. Elle a néanmoins lancé trois ans plus tard son programme SAHA pour la bonne gouvernance et la promotion de l’économie locale, qui prendra fin en 2012. La Suisse continuera ensuite à soutenir quelques actions sur la Grande Ile pour un montant d’1,5 million de francs.
Echanges. Environ 420 Suisses, dont 26% possèdent la double nationalité, vivent à Madagascar. Le commerce entre les deux pays reste très modeste, avec des exportations de 2,9 millions de francs enregistrés en 2009, contre 6,19 millions d’importations, essentiellement des produits agricoles.
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