Alger rêve de vendre son tourisme à la Suisse
Les autorités algériennes affichent leur volonté de profiter d'abondants revenus pétroliers pour faire de l'Algérie un haut-lieu du tourisme. Projet naissant, présenté au Comptoir Suisse à Lausanne. Or les obstacles sont nombreux.
Hôte d'honneur du Comptoir – grande foire commerciale qui se tient chaque année à Lausanne – l'Algérie en profite pour présenter ses toutes nouvelles ambitions en matière de tourisme, un secteur jusque là négligé de son économie.
«Début 2008, le pays s'est doté d'un schéma directeur d'aménagement touristique qui fixe les grands axes et les stratégies de développement pour les 20 ans à venir», communique l'ambassade d'Algérie à Berne.
L'après-pétrole
«C'est la 1ère initiative sérieuse de relance du secteur touristique. Aujourd'hui, l'Algérie est en effet à la traine en matière de tourisme, par rapport à ses voisins», remarque Hasni Abidi, directeur du Centre genevois d'étude sur le monde arabe et méditerranéen.
«Les responsables algériens commencent aussi à penser sérieusement à l'après pétrole, poursuit Hasni Abidi. Ils réalisent que c'est maintenant ou jamais qu'il faut utiliser les confortables revenus pétroliers pour diversifier l'économie du pays».
Fort de considérables réserves en devises (environ 123 milliards de dollars), le gouvernement algérien a les moyens de financer les infrastructures nécessaires à ce vaste projet. Mais pour le mener à bien et attirer les foules de touristes, il reste de nombreux obstacles à surmonter.
La menace terroriste
La sécurité constitue l'écueil le plus évident. «Il y a un risque d'attentats terroristes sur l'ensemble du territoire. Les cibles sont souvent des institutions publiques, ainsi que des entreprises étrangères et leurs employés», avertit le ministère suisse des affaires étrangères (DFAE) dans ses conseils aux voyageurs, avant de lister une série de recommandations pour le moins dissuasives.
«Les responsables algériens sont parfaitement conscients du problème. Mais ils ne veulent pas que la menace terroriste empêche le développement du pays», assure Claude Haegi, président de la Chambre de commerce et d'industrie Algérie-Suisse.
Manque de transparence
Selon Hasni Abidi, le tourisme balnéaire constitue l'objectif principal de ce programme industriel. Pour l'atteindre, l'Algérie compte aussi attirer des investisseurs étrangers.
Pour ce faire, l'Etat s'est doté d'un bon cadre législatif, admet Claude Haegi. «Mais dans la pratique, les choses sont différentes. Ce qui décourage les investisseurs», souligne-t-il.
Un point de vue que partage le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO). «Une bureaucratie compliquée et inefficiente, le manque de force de travail qualifiée, les problèmes de communication (peu d'Algériens parlent l'anglais) et le manque de transparence dans les passations des marchés publics amènent plusieurs entreprises étrangères à préférer d'autres marchés», souligne le SECO, avant de pointer tout particulièrement le problème de la corruption.
L'importation plus que l'investissement
Hasni Abidi, lui, souligne une autre faiblesse de taille: «L'existence d'une classe d'entrepreneurs locaux est importante pour développer une culture du tourisme. Or, pour l'heure, elle est embryonnaire et ne pratique que l'importation.»
Un avis confirmé par les chiffres. Selon le SECO, 98% des exportations provenaient en 2006 du secteur des hydrocarbures. Un secteur qui représente près de la moitié du PIB et n'occupe que 2% de la main-d'œuvre algérienne. Et ce dans un pays qui connait un chômage important (12,3 %, selon Alger; 20 à 30%, selon d'autres sources citées par le SECO) en particulier chez les moins de 30 ans (jusqu'à 40% dans les grandes villes).
Les conditions du développement
Selon la CNUCED (une agence de l'ONU spécialisée dans le commerce et le développement), l'existence d'une économie locale développée est une condition essentielle pour que le tourisme profite à l'ensemble du pays d'accueil.
Jean-François Baylocq, économiste à la CNUCED, estime que certains pays du Sud ne conservent en moyenne que 15 dollars sur les 100 dépensés par un touriste. «Premier secteur économique dans de nombreux pays, le tourisme est largement dominé par les tour-operateurs», souligne l'économiste.
«Minimiser ces fuites et maximiser la fourniture de biens et de services locaux doit être une priorité, plaide Jean-François Baylocq. Il s'agira d'augmenter la participation des entreprises locales que ce soit dans les transports, l'hébergement, la restauration et l'animation.»
«Pour que ce tissu économique se développe et qu'une classe d'entrepreneurs grandisse, il ne faut pas seulement de bonnes conditions cadre. Cette classe doit pouvoir s'exprimer politiquement. Mais l'Algérie n'est pas encore prête à faire ce pas», souligne pour conclure Hasni Abidi.
swissinfo, Frédéric Burnand à Genève
Le Comptoir suisse
Foire agricole lancée à Lausanne en 1920, le Comptoir suisse est devenu ces dernières années une foire commerciale urbanisée. Avec la Muba de Bâle, le Comptoir suisse est la seul foire reconnue comme nationale par le Conseil fédéral (gouvernement).
La 89e édition se tient du 19 au 28 septembre. Comme chaque année, le Comptoir suisse accueille un pays et un canton suisse comme hôtes d'honneur. L'Algérie et Saint-Gall, cette année.
Le projet touristique algérien
D'ici 2015, l'Algérie veut offrir 270 hôtels touristiques et centres d'affaires, et 75'000 lits répondant aux critères internationaux. Ce qui devrait générer 400'000 emplois directs et 90'000 places de formation.
Cette première étape est devisée à 2,5 milliards de francs suisses. Elle devrait permettre d'accueillir 2,5 millions de touristes en 2015. Pour comparaison, en 2007, la Tunisie voisine a attiré 6,7 millions de touristes.
Investisseurs suisses en Algérie
Dans le cadre du Comptoir suisse, un Forum économique sur l'Algérie se tient à Lausanne le 24 septembre.
Quelques investisseurs suisses en Algérie doivent y témoigner de leur expérience comme le groupe Jelmoli qui projette de construire plusieurs grandes surfaces ou la société Stadler, active dans le transport ferroviaire.
D'autres entreprises suisses sont présentes en Algérie, comme Nestlé qui vient de reprendre une usine d'eau minérale, Stucky, une société d'ingénieurs-conseils, leader dans le domaine des grands barrages ou la société d'ingénieurs-conseils Bonnard&Gardel, présente en Algérie depuis 1967.
Doris Leuthard à Alger, ministre suisse de l'Economie, prévoit de se rendre début décembre en Algérie pour une visite de travail.
Selon Claude Haegi, président de la Chambre de commerce et d'industrie Algérie-Suisse, l'économie suisse peut tirer parti du projet de développement touristique algérien dans les domaines de la formation - via ses écoles hôtelières – des équipements et des infrastructures.

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