Nyon capitale éphémère des sports alpestres
A Nyon, la tradition fête ses rois. Pendant trois jours, la petite ville vaudoise met en scène la Fête fédérale de lutte suisse et des jeux alpestres. Jamais ce rituel triennal n'avait fait escale au bord du Léman. Par delà des épreuves sportives, c'est un pari culturel qui se dessine.
Les grandes célébrations nationales de lutte, de gymnastique et de tir ont vu le jour au 19e siècle, au moment où la Suisse traversait une période assez tourmentée de son histoire, entre l'immobilisme de l'ancien régime et la stabilité assurée du nouvel État fédéral.
Sentiments patriotiques
Les fêtes de lutte suisse sont donc bien plus qu'une célébration sportive et les bergers-lutteurs en ont la ferme conviction. Pour eux et pour tous ceux qui les acclament, ces rendez-vous rituels traduisent la force, la solidité et la pérennité, pour ne pas dire la quasi-éternité des traditions helvétiques.
«Que les sophistes et les hypocrites se rient de nos fêtes nationales - clamait déjà en 1844 à Bâle un homme politique inaugurant un grand tir fédéral - leurs railleries sont impuissantes, elles n'étoufferont pas les sentiments patriotiques d'indépendance nationale qui font battre tous les cœurs vraiment suisses...»
On devine l'usage nationaliste dont certains politiciens ont été ou sont encore tentés de faire de ce genre de rassemblements. Christoph Blocher, le tribun de la droite suisse pure et dure, ne s'en était d'ailleurs pas privé à Coire en 1995, marquant pour ainsi dire le terrain à la culotte, ironisant sur les professions de foi pro-européennes de la ministre Ruth Dreifuss.
Nyon 2001 et ses metteurs en scène ont pris le chemin inverse. Claude Ruey, membre du gouvernement vaudois et président du comité d'organisation de la Fête, veut jeter une passerelle, certes patriotique et sportive mais aussi culturelle, entre une civilisation attachée aux idéaux de l'alpe et une autre qui vit au rythme des humeurs du Léman.
En musique, au saut du lit
Les Romands? On ne sait pas encore vraiment s'ils se déplaceront pour jeter un œil curieux sur l'immense arène éphémère et ses alentours. Dans la lutte en culotte de jute, dans l'art du hornuss ou dans la puissance du jet de pierre, leurs représentants ne forment qu'une maigre délégation. Pour eux, ce rassemblement frôle presque l'exotisme et, comme prévu, ils ne se sont pas vraiment rués sur les billets en vente.
Les Suisses alémaniques, au contraire, ne se poseront guère de questions. Samedi et dimanche, dès potron-minet, ils occuperont l'espace. Comme dit un passionné, voilà bien le seul sport au monde où l'on se lève si tôt pour encourager des athlètes. Encourager, c'est d'ailleurs peu dire, car tout ça se fera en musique, cors des Alpes, schwyzerörgeli et toupins en appui.
Entre les sérénades du Maennerchor de Steffisburg et les dégustations de papet vaudois, Alémaniques et Lémaniques tenteront pourtant de se convaincre mutuellement que «la barrière de Rösti» n'est qu'un slogan inventé pour faire peur aux enfants et que de part et d'autre de la Suisse, la vraie certitude à partager est «qu'il n'y en a point comme nous»!
Nyon a bien sûr tout entrepris pour que la fête soit belle. 33 000 places sur six tribunes réparties autour d'une arène de 115 mètres de diamètre: c'est une infrastructure imposante qui attend les 280 lutteurs sélectionnés, 400 joueurs de hornuss et 50 lanceurs de pierre. Et un «village vaudois» ouvert à plein de rencontres bien ravitaillées.
Un taureau comme récompense royale
Quant au titre de roi de la lutte, pour lequel les Romands n'entretiennent aucune espèce d'illusion, il reviendra non seulement au plus costaud, mais aussi à celui qui peut compter sur les meilleurs équipiers capables de se surpasser au moment décisif.
Vainqueur à Berne il y a trois ans, le Saint-Gallois Jörg Abderhalden - 22 ans, 190 cm, 130 kg - entend défendre sa couronne. Et quitter Nyon heureux propriétaire du taureau qui récompense le nouveau seigneur de la sciure. Mais du Toggenburg ou du Muotathal, ses challengers ne lui feront pas de cadeaux. La lutte suisse ne punit pas les actes de lèse-majesté. Bien au contraire.
Bernard Weissbrodt

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