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Nouvelle plainte contre les banques suisses

Ed Fagan en compagnie de Dorothy Molefi, mère d'une victime de la révolte de Soweto en 1976. Keystone

A New York, des victimes de l'apartheid attaquent en justice l'UBS et le Crédit Suisse. Une plainte collective orchestrée par l'avocat Ed Fagan.

Ce contenu a été publié le 17 juin 2002 minutes

L'avocat américain - célèbre en Suisse pour son rôle joué dans l'affaire des fonds en déshérence - reproche aux deux groupes bancaires helvétiques d'avoir soutenu le régime sud-africain d'apartheid.

«Nous portons plainte pour enrichissement injuste», explique Daniel Heeb, un consultant suisse basé à Zurich, qui représente le cabinet Fagan en Europe.

«Même si elles n'ont pas violé la loi, poursuit-il, les banques suisses ont permis au régime d'apartheid de se maintenir pendant les années 80, en rééchelonnant la dette sud-africaine et en accordant des prêts.»

Une collaboration qui s'est d'ailleurs poursuivie après l'imposition, en 1985 par l'ONU, de sanctions internationales contre le régime raciste de Pretoria. Puisque la Suisse avait décidé de ne pas les suivre.

Des dizaines de milliards en jeu

La plainte, qui doit être déposée à New York par cinq victimes ou parents de victimes du régime d'apartheid, ne chiffre pas précisément le montant qui pourrait être réclamé aux banques suisses.

Mais, lors d'une conférence de presse tenue lundi à Zurich, Ed Fagan a dit qu'une somme de 80 milliards de francs suisses n'était «pas inexacte».

L'avocat d'origine texane a également précisé que d'autres banques et d'autres entreprises en Europe et aux Etats-Unis feraient prochainement l'objet d'une plainte similaire.

Une procédure judiciaire à laquelle devraient se joindre d'autres plaignants sud-africains. Norbert Gschwend, porte-parole d'Ed Fagan, précise que 80 personnes au moins se sont déjà annoncées.

Une information d'ailleurs confirmée en Afrique du Sud, lors d'une conférence de presse tenue lundi à Soweto, dans la banlieue de Johannesburg.

Pas de réconciliation sans compensation

Pour s'adresser à la presse, les avocats sud-africains - qui soutiennent la plainte d'Ed Fagan - avaient choisi un site hautement symbolique. A savoir le mémorial dressé en l'honneur d'Hector Petersen, la toute première victime du soulèvement du getho noir de Soweto en 1976.

L'occasion pour la sœur d'Hector Petersen de lancer un appel au monde. «Je m'appelle Lulu, dit-elle. Si je suis là, c'est pour réclamer justice. Nous voulons des compensations des banques et des autres sociétés internationales qui ont réalisé leur profit sur notre dos.»

En Afrique du sud, cette démarche est coordonnée par un groupe d'historiens, de religieux et d'avocats. A l'instar de Dumisa Ntsebeza.

«On ne peut parler de réconciliation, sans réparation, dit l'ex-chef de l'unité d'enquête de la Commission vérité et réconciliation. Or, à ce jour, les victimes du régime d'apartheid n'ont obtenu aucun dédommagement.»

Le parti au pouvoir (ANC) n'a, en effet, jamais accordé les compensations promises aux victimes. Il s'est en outre abstenu de soutenir la campagne «Jubilée 2000».

Lancée en 1999 par les Eglises, cette dernière réclame l'annulation de la dette contractée par le régime d'apartheid et exige des compensations.

«Les démarches politiques n'ayant absolument rien donné, nous n'avons pas d'autre choix que d'aller en justice », ajoute de son coté Neville Gabriel, de la Conférence des évêques catholiques d'Afrique du sud.

Ed Fagan conspué à Zurich

Quoi qu'il en soit, les Suisses n'ont guère apprécié l'effet de manche d'Ed Fagan. A Zurich, en tout cas, quelques dizaines de retraités (pour la plupart) ont copieusement conspué l'avocat américain aux cris de «Fagan go home».

Une manifestation qui a contraint l'avocat à battre en retraite. Il a dû quitter la Paradeplatz - où se trouvent les sièges du Crédit suisse et de l'UBS - pour trouver refuge dans un hôtel.

Les deux banques suisses visées, elles, attendent d'en savoir plus avant de réagir. «Nous n'avons pas connaissance de cette plainte», précise Michael Willi, porte-parole de l'UBS.

Quant au Crédit suisse, selon l'une de ses porte-paroles, Claudia Kraaz, il dit avoir toujours respecté les lois et obéi aux directives du gouvernement helvétique dans ses relations avec l'Afrique du Sud.

Une plainte parfaitement justifiée

Ce n'est pas l'avis de Nils de Dardel. Pour le parlementaire socialiste, la plainte déposée contre les banques suisses est parfaitement justifiée. «Les ONG sud-africaines ont tenté d'approcher la Suisse depuis trois ans déjà, rappelle-t-il. Sans succès.»

Le conseiller national genevois rappelle également que le parlement suisse a rejeté en mars 1999 la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud sous le régime de l'apartheid.

«Si le parlement avait accepté cette commission d'enquête, conclut Nils de Dardel, on n'en serait sans doute pas là aujourd'hui.»

swissinfo/Frédéric Burnand avec Valérie Hirsch à Johannesburg

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