Les prisons suisses en proie à la guerre des clans
Les sept prisonniers soupçonnés d'avoir orchestré la grève du travail à la maison d'arrêt de Thorberg ont été acquittés. Le juge n'a pas retenu les accusations de mutinerie et de contrainte. Les autorités carcérales estiment pour leur part que la contestation illustre l'émergence de nouveaux rapports de force entre les prisonniers.
La grève des détenus est un phénomène courant dans les prisons. Mais la mutinerie de Thorberg, en mars 2000, a surpris par son ampleur. En effet, ce n'est pas moins du tiers des 173 pensionnaires de Thorberg qui a cessé de travailler durant près d'une dizaine de jours.
Les détenus voulaient obtenir de meilleures conditions de détention. Mais, selon les autorités, la révolte a été menée par une poignée d'hommes qui n'a pas hésité à utiliser la menace pour obtenir l'adhésion du plus grand nombre.
Des témoignages ont permis d'identifier les meneurs présumés. Ceux-là même qui se retrouvent aujourd'hui sur le banc des accusés. «Dans le système carcéral, l'émergence de rapports de force entre divers groupes de détenus est quasi inévitable, concède André Vallotton, chef du Service pénitentiaire du canton de Vaud.»
En d'autres termes, la formation de clans, plus ou moins organisés et puissants, fait partie de la réalité quotidienne de la prison. Et comme le souligne André Kuhn, professeur de criminologie à l'Université de Lausanne, «ces groupes sont naturellement formés de personnes de mêmes origines. Auparavant, pour briser le pouvoir des clans, on éparpillait leurs membres dans diverses prisons. Avec le système carcéral actuel, c'est plus difficile.»
Le fait est qu'il n'y a tout simplement plus assez de place. Le système pénitentiaire suisse repose sur la coexistence de trois types d'établissements - ouverts, semi-ouverts ou fermés - censés abriter les criminels en fonction de la gravité de leurs délits. Mais ce sont également dans les établissements les plus stricts que l'on trouve les délinquants étrangers.
«A crime égal, confirme André Kuhn, un délinquant étranger purgera sa peine dans un établissement fermé alors qu'un Suisse bénéficiera d'un régime carcéral plus ouvert.» Cet état de fait ne cache aucune discrimination raciale affirment les autorités carcérales. Elle procède de la simple logique qui veut qu'une personne étrangère, donc sans attaches en Suisse, soit d'avantage tentée par l'évasion.
Résultat: les six prisons fermées que compte la Suisse accueillent entre 70 % et 90% de détenus étrangers. «Et parfois, ces établissements doivent jongler avec une quarantaine de nationalités différentes», renchérit Benjamin Brëgger, membre de la direction du Centre suisse de formation pour le personnel pénitentiaire.
Une situation explosive et d'autant plus difficile à gérer que les conflits internationaux se répercutent jusque dans les couloirs des prisons. «Aujourd'hui, il est impensable de faire cohabiter des détenus Serbes et Kosovars», affirme Benjamin Brägger.
Les autorités pénitentiaires sont donc dans l'obligation de séparer les détenus en fonction de leurs origines, de leur religion, voire de leur culture. Dans les faits, cette règle est difficile à appliquer. A cela s'ajoute une autre dimension: compte tenu du nombre limité de prisons hautement sécurisées, il devient difficile de séparer également les membres d'un clan ou ceux d'une bande organisée.
Au total, l'édifice carcéral helvétique est le théâtre de véritables luttes pour la conquête du pouvoir, sous-tendues par des rivalités ethniques ou nationales.
Désormais, les responsables de Thorberg en tiennent compte. «Depuis la mutinerie nous n'avons pas changé notre régime carcéral, affirme le directeur Hans Zoss. En revanche, en cas de crise, nous collaborons désormais avec des spécialistes qui nous aident à mieux comprendre le comportement des divers groupes ethniques présents dans notre établissement.»
Vanda Janka

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