Les ONG craignent le pire en Afghanistan
Après la chute de Kaboul, les humanitaires, suisses notamment, redoutent une dégradation des conditions de sécurité sur le terrain.
La rapide progression de l'Alliance du Nord a surpris les organisations humanitaires suisses comme la population afghane. Et la peur est là, de voir le vide politique laissé par les talibans déboucher sur le chaos et l'insécurité.
La peur aussi des exactions d'une opposition qui avait laissé de sanglants souvenirs à la population de Kaboul en 1994.
Une mission de l'ONU est actuellement en train d'évaluer les risques d'un retour du personnel expatrié - retiré une semaine après les attentats du 11 septembre - dans le nord de l'Afghanistan, voire à Kaboul, abandonnée par les taliban.
Atteindre les populations vulnérables
De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM) - qui fait état du pillage de 89 tonnes de nourriture à Maza-i-Sharif - se prépare à y acheminer d'autres vivres, en collaboration avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Repliée elle-aussi à Islamabad, au Pakistan voisin, la délégation du CICR suit «une situation qui évolue d'heure en heure». Explications de son porte-parole, Bernard Barrett: «la situation est tellement fluide que nous ne sommes pas encore certains que l'ordre et la sécurité publique soient assurés».
Et Bernard Barrett de préciser: «à Kaboul, il y a des tirs isolés et nos employés afghans ne peuvent pas circuler librement. Notre principal problème devrait demeurer le même. Ce n'est pas d'acheminer l'aide dans le pays, mais bien d'atteindre les poches de population vulnérable.»
Responsable de la logistique pour la Direction de la coopération et du développement (DDC), Henri-François Morand est, lui aussi, dans l'expectative.
«Le vide politique actuel est excessivement dangereux. Les taliban ont à peine cédé le terrain, et voilà que l'Alliance du Nord et ses méthodes expéditives ont déjà cabré les autres ethnies, principalement les Pachtounes, qui sont majoritaires. C'était déjà suffisamment compliqué de travailler auparavant, mais là, si l'ordre est rompu, si c'est le chaos, ce sera très, très difficile.»
Même constat du côté des organisations non gouvernementales (ONG), comme Medair ou Terre des Hommes. Pour Phil Green, responsable de cette dernière pour l'Afghanistan, «il est trop tard, en raison de l'arrivée de l'hiver, pour acheminer l'aide dans les régions isolées».
«Nous craignons, dit-il, un afflux massif de populations affamées sur Kaboul, et donc une situation très dangereuse. Nos employés afghans sont très nerveux et ont plus peur de l'Alliance du Nord que des taliban ou des bombardements américains.»
La quadrature du cercle
Comme lors du départ des Soviétiques, rien n'est en place, politiquement. Victor-Yves Ghebali, professeur à l'Institut des Hautes Etudes internationales à Genève, partage le pessimisme général: «l'Afghanistan est déjà en situation de guerre civile. Ce sont les mêmes qui reviennent aujourd'hui à Kaboul, rien ne dit qu'ils ont changé et le pire est peut-être encore à venir.»
Des voix de plus en plus nombreuses font appel à l'ONU pour gérer le pays en attendant de trouver une solution politique. Pour Victor-Yves Ghebali, «ce serait la solution idéale mais, pour cela, il faut l'accord de toutes les parties en cause et nous revenons à la case départ».
Les observateurs estiment également que les taliban ne vont pas céder la place si facilement. Repliés dans les montagnes, ils pourraient se livrer à une guérilla d'usure. Mais, à la différence des moudjahidines, qui avaient bénéficié de l'appui des Etats-Unis contre les Soviétiques, les taliban, cette fois-ci, vont se retrouver bien seuls.
Pour l'heure, Oussama ben Laden comme le chef suprême des talibans, le mollah Mohammad Omar, courent toujours. Ce dernier a même affirmé mardi qu'il se trouvait toujours dans son fief de Kandahar.
Isabelle Eichenberger

En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Joignez-vous à la discussion