Le sens du raccourci
Dénonçant avec sarcasme mais sans lourdeur quelques uns des travers de notre société mercantile et quelque peu voyeuriste, Bernard Comment pose avec son dernier roman, «Le colloque des bustes» (Ed. Christian Bourgois), quelques questions essentielles.
Louis, le narrateur, est un homme-tronc, un corps que des circonstances qui ne nous seront que tardivement révélées ont réduit à l'essentiel: plus de bras, plus de jambes, plus de sexe... une tête, un tronc. À ce mot assez laid, Louis préfère celui de «buste», qui d'ailleurs pointe directement vers sa fonction sociale, la seule désormais possible: objet d'art, sculpture vivante achetée par un riche collectionneur.
Or il arrive que, en vertu de l'indiscutable principe qui fait que ce que l'on a acheté, on peut le louer, le collectionneur (patron? propriétaire?) accepte de monnayer la participation de son protégé à un de ces grands machins médiatiques à la mode. Il y rencontrera la jeune Lucile, quatre autres troncs, quelques marchands et l'ensemble de la presse mondiale par un tel colloque alertée.
Peut-on acheter, louer... vendre un être humain? Peut-on disposer de son corps comme d'un objet - fut-il d'art? La question est ouverte et, que l'on s'en persuade, on n'a pas fini d'en entendre parler.
Se gardant de tenir lui-même aucun des deux discours attendus ici, ni la vertueuse indignation éthique, ni le simple cynisme - avatar snob de la bêtise dirait Houellebecq -, Bernard Comment maintient son personnage à un assez haut degré d'ambiguïté, de sensibilité.
C'est par ce refus des positions tranchées et par une écriture sobre et retenue que ce qui aurait pu n'être qu'une fable grinçante et un brin artificielle devient un texte au caractère singulier, toujours à la fois pudique et dérangeant.
Guillaume Colnot

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