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«Quand les enfants meurent, on mesure l’ampleur de la détresse»

Le photographe Pascal Mora vient de rentrer du Somaliland, où il a réalisé un reportage pour le quotidien Blick sur cette région en crise de la corne de l’Afrique.

Ce contenu a été publié le 13 avril 2017
Balz Rigendinger

swissinfo.ch: Vous êtes maintenant rentré en Suisse. Qu’aviez-vous en tête durant le vol du retour?

Pascal Mora: En prenant les photos, je savais déjà au fond de moi que plus tard, je prendrais une voiture pour remonter dans l’avion pour Addis-Abeba, que je changerais à Francfort et que là, je serais bien loin de la faim. La faim pour nous, c’est quelque chose d’abstrait. Quand nous avons faim, nous mangeons, quand nous avons soif, nous ouvrons le robinet. Mais là-bas, il y a un jerrican jaune, il est vide, et les gens doivent voir comment ils peuvent le remplir. Ou alors il n’y a rien, parce que le camion-citerne n’est pas venu. Les livreurs d’eau de «Save the Children» que nous avons accompagnés venaient chaque jour avec une citerne dans un village. Mais ces livraisons n’étaient financées que pour les deux prochaines semaines. Cela au moins pourrait changer grâce aux millions de francs de dons récoltés en Suisse. 

swissinfo.ch: Qu’est-ce qui vous a particulièrement impressionné?

P.M.: Très clairement les enfants, comme ceux de l’hôpital, qui frisent la mort, ces petits êtres sans défense de deux ans, que l’on doit nourrir artificiellement. Nous étions dans une clinique mobile, qui depuis deux semaines faisait des examens et des soins d’urgence. Nous y avons aussi rencontré Halimo, une mère très angoissée à l’idée que son enfant affaibli ne puisse même pas manger. Elle pleurait et ne savait plus que faire.

"Un des problèmes, c’est la géographie. Les villages sont très dispersés.

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swissinfo.ch: Quels sont les plus grands défis sur le terrain?

P.M.: Le Somaliland est une république autonome. Et même si elle n’est pas reconnue par la communauté internationale, elle est quand même plus sûre que la Somalie. Il y a aussi un gouvernement, qui nous a fourni une escorte. Mais un des problèmes, c’est la géographie. Les villages sont très dispersés. Il faut des heures de route pour aller de l’un à l’autre. A pied, ce sont souvent des jours de marche. On ne peut donc pas facilement aller à la prochaine clinique ou chez le médecin.

swissinfo.ch: Que savez-vous des causes de cette crise?

P.M.: Je ne suis pas un expert. Mais une chose me semble claire: alors qu’au Sud Soudan, c’est notamment la guerre qui a conduit à la famine, au Somaliland, c’est le changement climatique. Il n’a pas vraiment plu depuis trois ans, ce qui veut dire que le pays n’a reçu qu’un tiers de la pluie nécessaire. Donc, dans l’état où est la terre, elle ne peut plus être exploitée comme elle l’a été. Les gens n’ont que leur bétail et partout où l’on passe, on voit des animaux morts. L’odeur est effroyable, d’innombrables chèvres sont mortes. La population dit «quand les chèvres meurent, c’est mauvais. Mais quand les chameaux meurent, c’est une catastrophe». Et nous avons vu quelques chameaux morts.

"On ne doit pas comparer les crises. Mais la simple dimension de cette catastrophe est énorme."

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swissinfo.ch: En tant que photojournaliste, vous avez visité des camps de réfugiés au Liban et en Jordanie, et travaillé dans des zones de crise comme la Syrie et la Libye. Qu’est-ce qu’il y a de différent cette fois?

P.M.: On ne doit pas comparer les crises. Mais la simple dimension de cette catastrophe est énorme – et elle est aussi restée difficilement imaginable pour nous. Nous avons certes roulé des heures à travers la région, mais nous n’en avons vu qu’une petite partie. L’ONU parle de la plus grande catastrophe humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour moi, cela se matérialise quand je vois un enfant de 18 mois près de mourir de faim. On se sent d’abord concerné – puis cela fait réfléchir.

swissinfo.ch: Dans quelle mesure?

P.M.: Encore une fois, je ne suis pas expert, mais je crois que l’humanité doit encore s’attendre à bien pire. Les effets du changement climatique n’ont pas fini de nous occuper. Peut-être devrons nous tout repenser dans ces régions, abandonner les villages, construire des villes, je ne sais pas. Pour le moment, la seule chose à faire, c’est de toute façon de continuer à donner.

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