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La réserve du directeur de bibliothèque

Le Salon du Livre, à Genève, héberge une exposition consacrée à la censure dans les bibliothèques. Visite guidée avec sa réalisatrice, Claudia Mendoza.

Ce contenu a été publié le 05 mai 2002 - 00:01

«Partout dans le monde, quels que soient les régimes, il y a toujours une censure. Les démocraties l'appliquent aussi, à leur façon. Quand on dit: notre pays est libre, la phrase qui suit commence souvent par un: mais... On ne peut pas dire qu'on peut vivre sans la censure.»

Voilà la conclusion à laquelle est arrivée Claudia Mendoza au terme de sa recherche sur le livre et la censure. Et qui nous guide dans l'exposition montée conjointement par l'Association genevoise des bibliothécaires diplômés (AGBD) et le quotidien fribourgeois «La Liberté».

Quand Saint-Gall pratiquait l'index...

Au 16e siècle, les bibliothécaires du Monastère bénédictin de Saint-Gall suivirent les indications du Grand Inquisiteur et de son index, cette liste de livres qu'on ne pouvait lire sous peine d'excommunication, voire plus. Il se livrèrent donc à des purifications.

Voici l'un des volumes de la «Cosmographia» de Sebastian Münster, grande encyclopédie de l'époque. On y voit une gravure représentant Genève. Mais l'adjectif «clarissimae» accolé à la ville «magnifique» a été biffé. Impossible pour l'Église catholique, à l'époque, de laisser passer de telles louanges envers la cité de Calvin. D'ailleurs, le nom du grand réformateur a été lui aussi censuré et remplacé par un «quidam» passe-partout.

Explication du censeur de service à l'époque du monastère bénédictin de Saint-Gall, un certain Chrysostomus Stipplin: «Ami lecteur, ne te fâche pas contre les ratures, biffures et corrections que tu trouveras dans cet écrit. Elles ont été apportées en respect de l'index de la purification des livres. Le reste, tu as le droit de le lire.»

Censures helvétiques par temps de guerre

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Suisse a officiellement créé le métier de censeur. L'exposition présente ainsi quelques ouvrages, fascistes et antifascistes, mis à l'écart par la section librairie de l'Etat-major général.

Cette censure, nous explique Claudia Mendoza, «s'appliquait aussi aux livres provenant de l'étranger, de façon à préserver la tranquillité nationale et à ne pas s'exposer à quelque incident diplomatique». De ce point de vue, même Charles de Gaulle se trouvait à l'index.

Tout comme les photographies des bombardements de Dresde. «Ces images, qui avaient alors un grand impact et qui disaient combien la guerre était violente, pouvaient être considérées par les fascistes comme de la propagande pour les Alliés. La censure a donc jugé nécessaire d'interdire leur diffusion pour sauvegarder la neutralité.» Et inversément pour des images de Londres.

«Encore et toujours vivante»

Les bibliothèques ne sont pas hors du monde et de la société, elles les reflètent. Les bibliothécaires aussi. Et - c'est l'avis de Claudia Mendoza - «comme une société ne peut pas vivre sans censure et que la liberté totale n'est pas démocratie mais anarchie», certaines formes de censure existent encore aujourd'hui et continueront d'exister longtemps dans les bibliothèques.

«Dans les bibliothèques publiques, vous ne trouverez pas des titres du genre 'le suicide mode d'emploi', ni des ouvrages consacrés à des 'thèmes croustillants, érotiques ou autres'».

Des ouvrages tout-à-fait récents - on y découvre entre autres l'«Histoire de l'œil» de Georges Bataille ou une publication romande sur Eros - restent ainsi cachés dans «l'enfer» des bibliothèques, ou dans ce qu'à Genève on appelle pudiquement «la réserve du directeur», cette armoire particulière à laquelle non seulement le public mais aussi les employés de la bibliothèque ne peuvent avoir accès sans l'autorisation du directeur.

swissinfo/Bernard Weissbrodt

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