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Edipresse étend son empire

Les fiançailles sont annoncées entre Edipresse et la Presse Riviera Chablais. Keystone

Le groupe de presse suisse double le français Hersant. Il va racheter l'éditeur Corbaz. Mais la Commission de la concurrence doit encore se prononcer.

Ce contenu a été publié le 08 mai 2002 minutes

L'accord a été trouvé mardi soir. Edipresse entend racheter 68% du capital-actions de l'entreprise Corbaz, éditrice de La Presse Riviera Chablais et de La Presse Nord Vaudois. Le groupe français Hersant (La Côte, l'Express et l'Impartial) a finalement été coiffé sur le fil.

Corbaz a choisi l'éditeur lausannois en raison de la proximité naturelle des deux entreprises, tant sur le plan de leur professionnalisme que de leur enracinement local vaudois, selon les termes du communiqué diffusé mardi soir.

Les deux groupes ne prévoient aucun changement d'organisation ou de structure, que ce soit pour l'édition ou l'imprimerie. Mais ils comptent mettre en commun leurs équipements, leur savoir-faire et leur expérience du marché dans le domaine de l'imprimerie.

Selon la version officielle, les activités actuelles se poursuivront et n'entraîneront pas de licenciement.

Une position dominante

En matière d'édition, les deux entreprises partenaires privilégieront le développement des publications actuelles (La Presse Nord Vaudois, La Presse Riviera Chablais et 24 Heures). Elles s'engagent à respecter la diversité régionale et l'autonomie de chaque rédaction.

Reste qu'Edipresse renforce encore sa position sur le marché des médias en Suisse romande. La Commission de la concurrence (Comco) a souvent dénoncé la situation dominante du groupe par le passé. Va-t-elle permettre à la «pieuvre» lausannoise d'étendre encore ses tentacules?

Interrogé par tsr.ch sur cet accord, Patrick Ducrey, vice-président et porte-parole de la commission, ne veut pas mettre la charrue avant les bœufs: «Pour le moment, on ne peut rien dire sur cet accord. Nous n'avons pas encore reçu de notifications de la part des deux éditeurs.»

Lorsque la Comco aura pris connaissance de l'accord, elle lancera une procédure habituelle. «Nous examinerons l'accord pour comprendre si la position d'Edipresse est renforcée, précise Patrick Ducrey. Puis, après un mois environ, nous déciderons si cet accord doit encore être soumis à un examen approfondi ou pas.»

La mise en garde de Pierre Lamunière

Lors de la conférence de presse annuelle de son groupe, il y a quelques semaines, Pierre Lamunière, patron d'Edipresse, avait mis en garde: «Fatigué de jouer le rôle de l'épouvantail, je mets en garde les politiques sur la possibilité pour mon groupe de se retirer du marché suisse.»

Le porte-parole de la Comco n'entend pas commenter ces déclarations polémiques. «Edipresse est traité comme tout le monde. Je n'ai pas d'avis sur la question».

Patrick Ducrey ne désire pas davantage se prononcer sur l'arrivée en Suisse du groupe Hersant, désormais principal rival d'Edipresse sur ses terres. «On ne peut pas dire que le groupe français soit en position dominante pour l'instant», ajoute le porte-parole.

Hersant, contre-attaque?

La guerre a bel et bien été déclenchée entre le français Hersant et le suisse Edipresse. Le combat acharné entre éditeurs autour du rachat de l'entreprise Corbaz en est la preuve. Le berger vient de donner une première réponse à la bergère. Et maintenant, que va faire Hersant?

«La stratégie du groupe français s'adapte assez bien au marché romand, explique Fabio Alessandrini, analyste financier chez Lombard et Odier. Hersant est arrivé à un moment propice en Romandie, profitant de la fragmentation des titres et du fait qu'on reproche à Edipresse sa position dominante.»

«En rachetant les imprimeries de la SNP (L'Express et l'Impartial), Hersant a trouvé une solution à ses problèmes de logistique au niveau de la capacité d'impression et a créé par la même occasion un outil industriel susceptible de créer de nouveaux bénéfices», constate l'analyste.

Selon des sources proches du groupe, Hersant devrait bientôt commencer à rentabiliser ses rotatives récemment acquises. En effet, l'éditeur français préparerait activement le lancement à Genève d'un hebdomadaire gratuit, sans contenu rédactionnel. Et dont les revenus proviendraient de la publicité et des annonces.

Et si après la tentative - avortée - du groupe Edipresse de s'implanter en France avec La Tribune Mont-Blanc, le groupe Hersant répliquait par un quotidien gratuit là où ne l'attend pas? En picorant les marges de La Tribune de Genève et de 24 heures?

Le groupe Hersant n'a jamais caché qu'il désirait devenir le plus grand acteur de la région transfrontalière dans sa stratégie francophone et européenne de développement. «Mais si le rapprochement entre la Romandie et la région Rhônes-Alpes est naturel en terme de population, il est plus difficile en terme de médias», tempère Fabio Alessandrini.

Edipresse racheté par Hersant?

L'analyste financier ne croit pas non plus à la possibilité d'un rachat pur et simple des activités d'Edipresse Suisse par le groupe français, comme cela a été évoqué dans la presse ces derniers temps. Selon lui, le rachat de l'entreprise Corbaz est la preuve qu'Edipresse n'entend pas se séparer de ses activités helvétiques.

La question mérite pourtant d'être posée. A 52 ans, Pierre Lamunière doit penser à sa succession - ses enfants ne seraient pas intéressés par l'affaire familiale. Alors, une chance pour le groupe Hersant? La réponse de Pierre Lamunière lui-même: «Je ne vendrai surtout pas à Hersant!»

Les autres options pour le groupe Hersant

Le groupe français pourrait désormais être intéressé par le rachat de quotidiens régionaux indépendants. Avec 15 quotidiens pour 1,5 million d'habitants, une concentration paraît inévitable. «La tendance est en effet aux alliances et à la concentration», confirme Alfred Haas, secrétaire général de Presse Romande, l'association des éditeurs.

Pourtant, aussi bien du côté du Valais (Le Nouvelliste) que du Jura (Quotidien Jurassien, Journal du Jura) ou de Fribourg (La Liberté), les éditeurs font plutôt la grimace lorsqu'on leur parle d'Hersant.

«Pour des raisons politiques avant tout, affirme François Gross, ancien rédacteur en chef de La Liberté et de Radio Suisse Internationale. Ces quotidiens tiennent à leur indépendance et ne veulent pas d'une influence étrangère à laquelle nous ne sommes pas habitués en Romandie».

Des propos qui prennent tout leur sens au vue de l'accord qui a été conclu entre les deux éditeurs... vaudois.

Peter Berni, tsr.ch

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