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L’émotion guide aussi la politique économique extérieure

Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch a pris ses nouvelles fonctions à la tête du SECO le 1er avril. swissinfo.ch

Les PME sont toujours un moteur décisif des exportations. Chaque année, l’Office suisse d’expansion commerciale (OSEC) leur a consacré un forum sur la politique économique extérieure. Première prise de parole de Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch, la nouvelle secrétaire d’Etat à l’économie.

Ce contenu a été publié le 16 avril 2011 minutes
Alexandre Künzle, swissinfo.ch

Avec seulement 0,1% de la population mondiale, la Suisse produit 1,4% des exportations. Les petites et moyennes entreprises (PME) y sont pour beaucoup, car elles sont très internationalisées.

Les raisons de cette orientation vers l’exportation sont la petitesse du marché intérieur, mais aussi le fait qu’il y a une forte demande de produits suisses à l’étranger. De bonnes conditions-cadres sont les conditions du succès et le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) en est le garant.

Tour d’horizon avec Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch qui dirige le SECO depuis le début du mois.

swissinfo.ch: Quelles sont vos priorités?

Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch: Le SECO a une large palette de missions. Après la crise économique, il est prioritaire d’améliorer encore les conditions-cadres pour l’économie suisse à l’étranger. Il s’agit notamment d’obtenir un meilleur accès aux marchés et de resserrer le filet des accords de libre-échange.

Nos relations avec l’Europe sont également prioritaires. Notre position géographique au centre du continent rend nécessaire que nous cultivions nos relations avec nos voisins et que nous développions encore nos rapports avec l’Union européenne. Par ailleurs, nous devons résoudre nos problèmes avec l’Italie. Un premier pas a été franchi dans le domaine des marchés publics, mais nous ne sommes pas au bout du chemin.

Les questions énergétiques nous occuperont aussi ces prochaines années, surtout après la catastrophe survenue au Japon.

swissinfo.ch: Cela sonne très rationnel. Est-ce qu’il n’y a pas des éléments émotionnels dans la politique économique extérieure?

M.-G. I.-F. : Et comment! Ce forum de l’OSEC l’a bien montré: sans prendre en compte les émotions, les PME ne peuvent pas appréhender correctement leurs marchés étrangers.

Moi-même, j’ai toujours représenté la Suisse avec passion dans les négociations internationales. Le fait que l’on puisse traiter avec cette passion des droits de douane peut paraître étrange. Mais des changements de tarifs sur les tomates concassées ou sur les cacahuètes non torréfiées peuvent aboutir à des baisses qui ont un effet direct sur la capacité concurrentielle des entreprises suisses. La matière est donc tout sauf aride. Je veux diriger le SECO de manière aussi engagée que lors de ces négociations passées.

swissinfo.ch: Les deux années de crise financière que nous avons vécues ont également été chargées d’émotions. Il a fallu en atténuer les effets. Et ensuite, que va-t-il se passer?

M.-G. I.-F. : En 2008 et en 2009, le gouvernement et le Parlement ont pris, en l’espace de quelques mois, diverses mesures conjoncturelles de stabilisation. Elles ont été transposées en 2009 et expireront à la fin de cette année. Parmi elles, il y a des mesures d’encouragement des exportations qui ont été appliquées par l’OSEC. Grâce notamment à ces diverses mesures, l’économie suisse s’est nettement redressée au milieu de l’année dernière. Les experts estiment maintenant que la croissance du PIB sera d’environ 2,1% en 2011, un taux que j’estime satisfaisant.

Un nouveau défi nous attend: les changements qui s’opèrent dans l’économie mondiale. Surtout depuis les crises financière et économique, on assiste à une redistribution des cartes. Les pays émergents s’en sont remis plus vite et mieux que les pays développés. De ce fait, ils ont beaucoup gagné en assurance. Ils veulent participer à part entière aux travaux de l’Organisation mondiale du commerce, du Fonds monétaire international et bien-sûr du G20.

swissinfo.ch: Cela vous irrite?

M.-G. I.-F. : Non, c’est compréhensible. Nous ne vivons plus dans un monde bipolaire. Mais parfois, je suis un peu étonnée. Pour avoir de tels droits, il faut aussi accepter les devoirs qui leur sont liés. Or de ce point de vue, ces pays sont encore très timides. Si, par exemple, ils acceptaient d’ouvrir davantage leurs marchés dans le cadre de l’OMC, les négociations seraient bien plus avancées.

swissinfo.ch: Comment la Suisse doit-elle se positionner dans ce nouvel environnement?

M.-G. I.-F. : Regardez la carte du monde que l’OCDE a intégrée dans son logo à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Pour beaucoup, cela ne ressemble pas à une carte du monde, car le point de vue a changé. Sur cette nouvelle carte, le Pacifique se situe au milieu. A gauche, il y a l’Asie, et à droite, le continent américain. L’Europe, elle, apparaît comme une petite tache dans un coin, tout à gauche.

Tel est le monde que se représentent maintenant beaucoup de pays et dans lequel la Suisse doit se positionner. Nous ne voulons pas nous laisser marginaliser. Cela exige beaucoup d’engagement.

swissinfo.ch: Comment percevez-vous les développements dans le contexte européen?

M.-G. I.-F. : Il y a des turbulences dans la zone euro. Le Portugal vient de se réfugier sous le parapluie. La surévaluation du franc pose des problèmes à une partie des exportateurs suisses, malgré le fait qu’une monnaie forte est la marque d’une économie forte. Nous sommes devenus les victimes de notre propre succès.

swissinfo.ch: Quel est l’ordre du jour pour la Suisse?

M.-G. I.-F. : 2011 est une année importante, car le Parlement va fixer le financement de l’encouragement des exportations et de la promotion de la place économique suisse. Le message sera traité par les Chambres durant les sessions d’été et d’automne. Nous constatons que la demande de prestations de soutien à l’exportation a augmenté ces dernières années.

Il appartient aux PME de devenir encore plus innovatrices et de proposer des produits plus pointus que la concurrence. Elles doivent aussi continuer à diversifier leurs marchés. De notre côté, nous avons dans notre viseur des régions du monde où nous voulons conclure des accords de libre-échange, particulièrement en Asie.

Mais ces négociations ne sont pas faciles. Quand le négociateur indien me fait remarquer que son pays compte 1,2 milliard d’habitants alors que l’Association européenne de libre-échange (AELE), dont la Suisse fait partie, en compte à peine 12 millions, la question de l’obtention d’un accord équilibré se pose. Nous devons miser sur la qualité, les niches et les spécialités que personne d’autre que nous ne peut offrir.

swissinfo.ch: Vous avez surtout parlé de la dimension bilatérale de votre politique. Qu’en est-il de la dimension multilatérale, à l’OMC?

M.-G. I.-F. : Les principaux acteurs de la négociation ne se sont toujours pas mis d’accord sur les objectifs. Avec mes 15 ans d’expérience dans ce domaine, je dois malheureusement constater que le cycle de Doha a de piètres perspectives. Mais comme je suis irrationnellement une éternelle optimiste, j’espère quand même une percée, sous quelque forme que ce soit. Une issue positive est en effet importante pour beaucoup de pays en développement.

Ces incertitudes sur le plan multilatéral donnent davantage de poids à notre politique bilatérale de conclusion d’accords de libre-échange. Nous en avons déjà 24 avec 33 pays non membres de l’Union européenne. En janvier dernier, nous avons conclu l’accord avec la Chine lors du forum de Davos. Une délégation chinoise se trouve actuellement à Berne.

Nous négocions aussi avec l’Inde, l’Indonésie et avec l’union douanière regroupant la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie. Nous avons aussi des contacts avec le Brésil et d’autre pays d’Amérique latine et d’Asie.

swissinfo.ch: L’Union européenne n’est-elle pas justement en train de négocier un accord de libre-échange avec le Brésil?

M.-G. I.-F. : Oui, et nous cherchons à obtenir le même résultat que l’Union européenne. Dans le passé, notre politique de négociation était «one step behind», ce qui signifie que la Suisse concluait un accord avec un partenaire seulement après que l’Union européenne eut conclu le sien. Mais depuis quelques années, nous négocions de plus en plus «one step ahead». Il s’agit de se placer en pole position pour que les exportateurs suisses puissent s’établir plus vite sur ces marchés que leurs concurrents européens ou américains. L’accord de libre-échange avec la Corée en est un exemple.

La stratégie est bonne, mais l’Union européenne ou les Etats-Unis ont bien sûr davantage de poids dans les négociations que la petite Suisse. De ce fait, ils obtiennent parfois de meilleurs résultats que ceux que nous avions obtenus. En pareil cas, nous essayons d’améliorer l’accord que nous avons conclu, afin de ne pas être discriminés.

Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch

Depuis le 1er avril dernier, Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch dirige le Secrétariat d’Etat à l’économie. Elle a succédé à Jean-Daniel Gerber.

De langues maternelles italienne et française, elle a achevé ses études de droit à l’université de Berne en 1987 et est devenue avocate. Elle a ensuite travaillé chez Mckinsey, puis a obtenu un MBA à l’Insead (Fontainebleau). En 1990, elle s’est mise au service de l’Office fédéral des affaires économiques extérieures (OFAEE).

En 2007, elle est devenue ambassadrice et déléguée du gouvernement pour les accords commerciaux. Elle a été cheffe-négociatrice de la Suisse auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), membre de la direction du SECO et responsable du domaine commerce mondial à la Direction des affaires économiques extérieures, en charge des accords de libre-échange.

Elle dit qu’elle n’aurait pas accepté ses nouvelles responsabilités sans le soutien constitué par les 640 collaborateurs du SECO et par son exceptionnelle équipe de direction.

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Forum de Zurich

Le forum de l’OSEC sur l’économie extérieure de la Suisse a eu lieu la semaine dernière à Zurich.

Sur le thème «Nouvelles terres – terres d’opportunités», le forum a emprunté des chemins non conventionnels. Des précurseurs et des auteurs de bestsellers comme Kjell Nordström ou Peter Kreuz ont proposé leur modes de pensée et leurs méthodes (d’exportation).

Jean-Claude Biver, créateur de la marque horlogère Hublot, s’est exprimé en prenant des exemples concrets tirés de son expérience entrepreneuriale.

Plusieurs chefs d’entreprise se sont exprimés sur la manière dont ils se sont tournés vers l’exportation, sur ce qui a fonctionné et ce qui a échoué. Parmi eux: le torréfacteur de café Daniel Badilatti, le spécialiste des centres de données Mathias-Ulrich Koch, le pionnier de la câblerie d’acier Peter Jakob et le champion de la localisation de véhicules Daniel Thommen.

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