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Dépression culturelle

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«Cartes postales» de Suisses expatriés... Rolf Kesselring, écrivain, ancien éditeur, nous adresse son courrier de la région de Nîmes.

Ce contenu a été publié le 20 novembre 2002 minutes

Sa colère du jour: notre anglo-américanisation forcenée.

Vue d'ici, la Suisse, ma Suisse, me devient de plus en plus étrange, pour ne pas dire «étrangère». Tout au long de ma vie de migrant, de passager clandestin du destin, d'évadé patriote et nostalgique, j'ai aimé passionnément l'extraordinaire diversité culturelle de mon pays.

J'apprends que certains cantons alémaniques viennent de faire la nique au français (habituelle deuxième langue à l'école), pour la remplacer par l'anglais...

Que dire, que faire? Déjà que lors de mon dernier voyage au pays, j'avais observé cette tendance à se soumettre à cet idiome saxon dans la publicité, dans les officines plus ou moins officielles, sans parler des entreprises où Marie Cornuz et Jean-Louis Bolomey mâchonnent un anglais de cuisine pour avoir l'air d'être en phase avec l'époque. C'est sans doute «tendance», comme disent ces idiots de Parisiens.

Baskets et casquettes

À force, je me suis demandé s'il n'y avait pas un complot anglo-américano-marchand pour augmenter encore plus l'emprise de ces pays, de cette culture, sur le reste du monde. À force, j'ai fini par constater le manque de fierté, de sens de la résistance, de la rébellion, face à ce que les guignols de Canal+ appellent la «World Company».

Bientôt, si nous n'y prenons garde, le monde perdra sa formidable diversité. Nous serons alors privés de cette fantastique palette de couleurs et de saveurs qui en fait tout le charme.

Comment exister dans sa culture d'origine face à cet abandon, cette démission qui grignote peu à peu nos particularités linguistiques, nos riches différences? Comment survivre dans un monde sans fierté, sans honneur, qui se laisse aller à cette uniformité ambiante mortifère?

Sans parler de l'invasion des jeans, des casquettes, des baskets, et de ce qu'on ose qualifier de restaurants, et qui ne sont que des cantines à gaver, en vitesse, des humains pas dégoûtés pour deux ronds.

To be collabos, or not to be?

Pour beaucoup, obsédés par l'argent, le fric, le pognon, le blé, l'artiche, l'aubert, bref par les euros et les dollars, à gagner, à entasser, à tout prix, cette mode de l'anglais à tous les étages, justifie tout... surtout le manque de scrupule, de morale et de dignité.

Si on apprenait la langue anglaise à nos enfants pour qu'ils découvrent Shakespeare ou Walter Scott, Sir Roger Bacon ou Marlowe, à la rigueur Agatha Christie ou Mary Higgins Clarks, j'applaudirais!

Mais il faut savoir que c'est uniquement pour lire le Wall Street Journal ou pour regarder CNN que ces carriéristes nés, ces opportunistes de saison, apprennent un certain anglais. Je ne sais pourquoi, mais ils me font penser à ceux qu'on traitait, ici en France et après la dernière guerre, de «collabos»!

Léonard, Cervantès, Verlaine, Mozart, etc.

Da Vinci, Leonardo de son prénom, pensait en italien, Cervantès en espagnol, Verlaine en français et Mozart en allemand. Qu'auraient-ils imaginé et donné au monde, s'ils avaient pensé en anglais commercial?

Qu'auraient-ils laissé à la communauté humaine si on les avait trahis culturellement comme on est en train de le faire avec nos enfants? Que serait notre imaginaire sans leurs apports (à eux et à bien d'autres)? Comment serait notre univers sans leur sublime héritage multiculturel?

Alors, apprendre l'anglais, comme les forcenés d'une apparente réussite sociale et financière, relève de la pure trahison de l'intelligence. Comprenons-nous bien: je ne suis pas rebelle à la culture anglo-saxonne. J'ai trop aimé les Miller (Henri et Arthur, of course!), les Fenimore Cooper et les Ernest Hemingway, les Frank Herbert et John Brunner!

Ce que je refuse, c'est de marcher du même pas que ce troupeau aveugle actuel. Ce que je veux dire et répéter, en paraphrasant le prince des poètes, c'est «qu'on s'en va au vent mauvais qui nous emporte...» et qu'il est probable, qu'un jour, devant le désastre culturel annoncé, on s'écrie: «Qu'as-tu fait de ta jeunesse, ô toi que voilà»!

swissinfo/Rolf Kesselring

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