Quand l'humanitaire naissait au cinéma
Le cinéma humanitaire remonte aux premiers films de «propagande» du CICR dans les années 1920. Un double DVD présenté à Visions du Réel en témoigne.
Cette parution met en lumière à la fois le rôle de l’image pour raconter l’histoire du siècle et sa fragilité aussi.
Contrairement à l’écrit, que le papier pérennise, l’image est en danger. Elle repose sur des supports fragiles, aujourd’hui autant qu’hier, assure Joëlle Borgatta, de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine audiovisuel suisse Memoriav.
Cas typique: celui des premiers films du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Ceux-ci reposaient sur quelques-unes des 300 bobines du fond cinématographique de l’institution. Des bobines en partie détériorées et au contenu disparate qu’il a fallu inventorier, évaluer, restaurer, transférer sur format vidéo et valoriser.
Cet exercice a nécessité plus de cinq ans de travail et une collaboration étendue. Le CICR, Memoriav et la cinémathèque suisse, mais aussi le cinéaste suisse Jean-Blaise Junod et deux historiens notamment ont participé à ce projet aujourd’hui matérialisé par un double DVD de quatre heures, présenté à Nyon cette semaine.
Films sources et films restitués
Côté contenu, on trouve sur ce double DVD aussi bien les bouts de films sources tels qu’archivés qu’une tentative de restitution par Jean-Blaise Junod à partir d’une recherche historique. «Nous avons donné une nouvelle vie aux quatre films de1921, en les montrant comme ils auraient pu l’être à l’époque», explique Joëlle Borgatta.
La démarche toutefois ne se veut pas exclusive. «Le DVD Films restitués présente une tentative de reconstitution qui doit rester ouverte à d’autres interprétations. Ce que permet l’étude du DVD Films sources», note Jean-Blaise Junod dans le bulletin Memoriav.
Autre contribution du cinéaste, l’apport de petits documentaires destinés à remettre chaque film dans son contexte. En clair, le double DVD est destiné aussi bien aux chercheurs, documentaristes, historiens et historiens du cinéma qu’aux enseignants et au grand public.
Films de «propagande»
«L’histoire du 20ième siècle ne peut se raconter sans l’image. Mais on doit bien constater que la prise de conscience n’a pas encore eu lieu», relève Joëlle Borgatta.
L’histoire, c’est justement ce qui se joue sur et autour de la pellicule des premiers films du CICR. La guerre vient de s’achever, le rôle du CICR est désormais contesté. L’institution se lance alors dans ce qu’il était convenu d’appeler à l’époque le film de «propagande».
A l’occasion de sa 10ème conférence, à Genève en 1921, le CICR fait réaliser quatre films par ses délégations sur le terrain. Des documents qui ne manquent pas de rappeler les vieux Buster Keaton ou les premiers Chaplin aux yeux du profane d’aujourd’hui. L’humour en moins.
Dramatisation et apologie
Ces quatre films évoquent des problématiques non résolues après la fin du conflit mondial: rapatriement des prisonniers de guerre (par l’intermédiaire des détenus en Russie et en Allemagne), la gestion des épidémies (le typhus en Pologne), le secours aux enfants (Budapest) et celui apporté aux réfugiés (Constantinople).
Afin de conforter encore sa position, le CICR passe cette fois commande à Jean Brocher pour sa 11ème conférence en 1923. Le réalisateur - qui accédera à une certaine reconnaissance par la suite - livre un court métrage intitulé «Le Comité international de la Croix-Rouge à Genève: ses activités d’après-guerre».
Ce film utilise des extraits des quatre précédents et demeure fidèle à leur style alliant grandiloquence et candeur, dramatisation et représentation apologique. Il faut convaincre le grand public comme les puissants que le CICR se justifie.
Le civil au premier plan
Dès cette époque, le cinéma humanitaire «élargit le champ aux catastrophes naturelles et matérialise la révolution en cours, qui met le civil au premier plan de l’action humanitaire, à la place du soldat», écrit l’historien Enrico Natale.
Et celui-ci de constater: «Les organisations humanitaires réussissent ainsi à imposer, et de façon définitive, un dialogue suivi entre le degré de souffrance des victimes, le travail des secouristes et le public spectateur.»
swissinfo, Pierre-François Besson
Faits
Memoriav et le CICR sortent un double DVD centré sur les premiers films consacrés à l’aide humanitaire
Les deux organismes collaborent depuis 1995 autour de la sauvegarde des films du CICR tournés entre 1921 et 1960
Présenté à Visions du Réel, le double DVD s’intitule «Humanitaire et cinéma: films CICR des années 1920»
En bref
- La 11e édition du festival Visions du Réel a lieu du 18 au 24 avril à Nyon. Au programme: 143 films de 31 pays, dont 17 en compétition internationale.
- Ce festival est un «incontournable» en matière de cinéma documentaire en Europe. Quelque 1100 professionnels et journalistes et environ 25'000 visiteurs y sont attendus.

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