Coupes claires dans les effectifs d'André Group
Un an après avoir supprimé 225 emplois, le grand négociant vaudois taille à la hache dans ses postes de travail. Son nouveau plan de restructuration se traduira par des licenciements massifs: 700 à 900 à travers le monde, dont 75 à son siège de Lausanne.
Au début février de l'an dernier, la société de négoce André & Cie, spécialisée dans le commerce international, avait annoncé une série de mesures en vue d'une réorganisation globale de son activité internationale. Concrètement, cette décision devait se traduire par la suppression de quinze pour cent de son effectif mondial comprenant environ 1'500 employés.
Vendredi après-midi, à son siège de Lausanne, son nouveau directeur général Friedrich Sauerländer a confirmé les informations qui, depuis la veille, faisaient état d'une nouvelle restructuration encore plus drastique. Cette fois-ci, c'est quelque 700 à 900 emplois qui seront rayés de l'organigramme de l'entreprise, dont 75 environ en Suisse.
On n'a pas coutume, chez André & Cie, d'afficher les chiffres en toute transparence. Mais sur l'essentiel, les choses semblent très claires: la société a enregistré «des résultats en 2000 plus mauvais que prévus dus à la nécessité de se restructurer et à des marchés particulièrement difficiles».
Les pertes qui se chiffraient à 285 millions de dollars en 1999 ont probablement dépassé, une fois encore, la barre des 200 millions. En deux ans, le chiffre d'affaires aura pratiquement fondu de moitié, passant de 5,35 à 2,9 milliards de dollars.
Conséquence: la nouvelle restructuration envisagée par le groupe vaudois implique, comme celle de l'an dernier, mais de manière beaucoup plus spectaculaire et socialement très douloureuse, une réduction des coûts du personnel et un recentrage des activités sur les secteurs rentables.
Friedrich Sauerländer considère cependant assez bonnes les chances de rétablir la situation: «Nous avons décidé, dira-t-il en conférence de presse, de mettre tous nos efforts sur les produits que nous voulons maintenir et développer et de nous séparer des autres. Seul un Business Plan va nous permettre de faire une fois pour toute table rase des problèmes du passé.»
Mais comment en est-elle arrivée là, cette maison fondée en 1877 déjà, réputée pour son sérieux et sa solidité, longtemps classée parmi les trois premières de Suisse romande, et occupant une place de choix dans le commerce international des céréales?
Une première réponse est à chercher précisément sur le terrain des matières premières. Depuis 1999, le marché des produits agricoles suit la tendance inverse des produits miniers dopés par la remontée spectaculaire des cours du pétrole. Les cours de denrées comme le sucre, le café ou le cacao ont atteint des profondeurs quasiment historiques.
C'est qu'en l'espace de quelques années, explique un spécialiste de la CNUCED, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, le monde des matières premières s'est complètement transformé.
Il y avait des systèmes de compensation et des stocks régulateurs qui permettaient de stabiliser les prix. Tout cela a disparu. A cause de la mondialisation? C'est en tout cas, dit-il, la faute à une libéralisation bien trop brutale. Le résultat est que les producteurs, jadis protégés des aléas du marché, se sont retrouvés du jour au lendemain sans encadrement et sans aucune solution alternative.
Avec l'ouverture des marchés et l'apparition de nouvelles filières commerciales, les sociétés de négoce doivent désormais faire face à une concurrence de plus en plus marquée. Comme dans d'autres secteurs économiques, les entreprises d'import-export recherchent la concentration et l'intégration des réseaux d'approvisionnement et de distribution.
La seconde analyse des difficultés que peut traverser une société comme André & Cie porte sur les aspects financiers de ce type de commerce spécialisé. Les marchés des matières premières agricoles sont extrêmement volatiles. Dans ces conditions, ou bien on cède à la tentation de spéculer, ou alors on met en place des couvertures financières à long terme.
Dans ce domaine, les prévisions dépendent de facteurs aussi complexes que la météo, les taux de change, le prix de l'énergie (nécessaire à la transformation de certains produits) ou encore l'actualité politique. Toutes ces fluctuations réduisent forcément les marges financières des sociétés de négoce, ce qui n'est pas tout à fait le cas du secteur industriel.
«Dans ce métier, commente un expert d'une société de négoce concurrente, il nous faut des lignes de crédit assez conséquentes et rapidement disponibles, car par exemple une cargaison peut valoir dix millions de dollars ou plus. Et, quand on a des problèmes, la confiance se fragilise, les partenaires prennent moins de risques.»
«Mais le plus important c'est d'avoir des partenaires de qualité, qui livrent la marchandise quand on l'a achetée et qui la reçoivent quand on l'a vendue. Ce qui n'est pas aussi simple qu'on le pense.»
Un mot encore sur l'opacité dont l'entreprise vaudoise aimait à s'entourer. «Dans les sociétés de négoce, dit-encore cet expert, le secret n'est pas maladif, c'est un outil de bonne gestion. Car si elles veulent travailler à long terme, elles ont besoin de la liberté d'action que leur donne leur caractère privé. Dans un monde aussi compétitif, on perd forcément l'avantage économique des informations stratégiques qu'on livre au public.»
Bernard Weissbrodt

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