Charlie Chaplin et W.R. Hearst vus par Bogdanovich
Première mondiale: le public de Locarno a pu découvrir samedi soir «The Cat's Meow», nouveau film du réalisateur américain Peter Bogdanovich après un silence de huit ans. Récit d'une croisière malsaine et dramatique.
Ciel de plomb sur Locarno. Vent tempétueux. Et puis la pluie, dense comme une averse tropicale. Pour la deuxième fois en trois jours, les projections de la Piazza Grande sont exportées dans différentes salles. Un système qui fonctionnait peut-être bien à l'époque où le festival jouait la carte de l'intimité, mais qui atteint ses limites au vu de l'affluence qu'il suscite désormais. A quand le vaste chapiteau, sur le rond-point du château, que les organisateurs évoquaient l'année dernière?
Au Palazzo Fevi, Peter Bogdanovich, à qui l'on doit «Targets» (1967), «The Last Picture Show» (1971) ou «Mask» (1985), est là. Bogdanovich qui, face à une salle immense et remplie à ras-bords, se réjouit que son film soit dévoilé en Europe, car «il a été entièrement tourné en Europe: à Berlin et en Grèce».
Huis-clos clinquant
«The Cat's Meow» raconte la croisière organisée, un week-end de 1924, par le magnat de la presse William R. Hearst. A bord de son yacht, une brochette de personnalités très people - romancière, journaliste, comédiens, producteur de cinéma. Et aussi sa compagne, la jeune actrice Marion Davies (Kirsten Dunst), confrontée à l'assiduité de Charlie Chaplin (Eddie Izzard), qui est aussi du voyage. Un joli groupe d'individus sans scrupules, aussi fats qu'arrivistes, à l'exception de la jolie Marion.
Autour de Hearst, on rit, on danse, on boit, on s'amuse. Et surtout, on médit, on cancane, on se positionne. Jusqu'à ce que le drame survienne: un mort. La police bouclera le dossier en concluant à une indigestion... Ce n'est évidemment pas cette thèse que défend le film. Mais évidemment un crime, placé ensuite sous le sceau du silence, car l'argent et la puissance peuvent tout.
Le récit d'Orson Welles
«Voici la version la plus souvent chuchotée», dit une voix off en ouverture du film. Et cette version, c'est Orson Welles lui-même qui l'aurait rapportée à Peter Bogdanovitch, Orson Welles qui s'était d'ailleurs inspiré de W.R. Hearst pour créer son personnage de Charles Foster Kane dans «Citizen Kane». «L'histoire de The Cat's Meow se trouvait dans la première version du scénario de Citizen Kane», précise par ailleurs Bogdanovich.
Résolument classique dans sa forme, le nouveau film de Bogdanovich est fort et élégant. Pas de jugement moral. Simplement le récit d'une hypothèse crédible et choquante, doublé d'un regard froid sur un univers où tout est biaisé par la richesse et le succès. Un univers que domine W.R. Hearst, colosse fragilisé par un amour improbable et sincère.
Bernard Léchot, Locarno

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