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Angola: tirs croisés contre l'agence humanitaire suisse

L'Angola est l'un des pays du monde dont le sol contient le plus de mines. Keystone

Plusieurs ONG contestent un contrat de déminage en Angola sur le point d'être conclu par Ruag, l'entreprise d'armement aux mains de la Confédération. Celle-ci aurait été mandatée par l'agence publique suisse de développement. Qui dément.

Ce contenu a été publié le 12 juin 2008

Manque de transparence, déficit de démocratie. Ruag, le groupe d'armement appartenant à la Confédération suisse, est une nouvelle fois sous le feu des critiques.

Les ONG, qui tirent régulièrement à boulets rouges sur ses activités notamment dans le domaine des armes à sous-munitions, lui reprochent cette fois un contrat de déminage en Angola.

En passe d'être signé, celui-ci aurait été attribué à Ruag dans des conditions peu claires et sans appel d'offre, comme l'a révélé la semaine dernière L'Hebdo de Lausanne. Un comble aux yeux des ONG puisque c'est l'agence humanitaire de la Confédération qui est en charge de ce dossier.

En 2003, lorsque Berne avait décidé de restituer à l'Angola 24,2 millions de dollars déposés dans des banques suisses par des dignitaires angolais et saisis dans le cadre d'une entraide judiciaire, c'est en effet la Direction du développement et de la coopération (DDC) qui avait été chargée de superviser l'utilisation de cet argent.

Aux termes d'un accord conclu en 2005 avec le gouvernement angolais, la DDC devait en consacrer une partie à des projets éducatifs et une autre à du déminage (environ 10 millions). Or le fait que ce contrat-ci ait atterri dans les poches de Ruag semble plus que suspect aux ONG.

Peu transparent

Dans un communiqué commun, Action Place financière Suisse, la Déclaration de Berne (DB) et Global Witness dénoncent la DDC pour avoir «directement mandaté Ruag». Elles exigent que l'agence de la Confédération annule ce mandat et qu'elle lance un appel d'offre public pour ce contrat.

«C'est la procédure habituelle dans ces cas-là. Elle permet de garantir la transparence. Le but de cette restitution de fonds était que la société civile angolaise soit impliquée dans le contrôle des projets», souligne Anne-Kathrin Glatz de la Déclaration de Berne.

Pour elle, le fait que Ruag ne dispose pas des compétences nécessaires dans le domaine pointu du déminage et que le groupe sous-traite une partie du travail à une entreprise allemande constitue une circonstance aggravante. L'ONG craint en effet qu'une partie de l'argent destiné aux projets d'entraide passe dans des contrats de sous-traitance.

La DDC dément

Montrée du doigt, l'agence suisse d'aide au développement rejette les accusations des ONG. Selon la DDC, ce n'est pas elle qui a mandaté Ruag, mais les autorités angolaises «à qui appartient cet argent, donc la compétence exclusive de choisir leurs partenaires», déclare son porte-parole Jean-Philippe Jutzi.

Une version confirmée par Ruag, qui précise qu'une première déclaration d'intention en vue d'un projet de déminage avait été signé en mai 2005 avec les autorités angolaises.

«C'est le gouvernement de Luanda qui nous a choisis. Il a comparé plusieurs offres au cours d'une procédure de sélection et nous a finalement attribué ce contrat pour lequel nous collaborerons avec la firme allemande MineWolf Systems», indique Urs Breitmeier, responsable du secteur Land Systems.

Ce document est actuellement passé à la loupe par la Société Générale de Surveillance (SGS) afin de parer à toute critique, ajoute-t-il.

La DDC reconnaît quant à elle avoir demandé deux audits externes - dont l'un est encore en cours - avant la signature du contrat. Et c'est un bureau financé par ses soins qui aura pour tâche de mettre en oeuvre le projet à partir de Luanda.

Mais l'agence de coopération helvétique dément toute responsabilité quant au fait qu'il n'y a pas eu d'appel public d'offres.

Gouvernement corrompu?

Une attitude qu'Anne-Kathrin Glatz juge «étonnante» et qu'André Rothenbühler, d'Action Place financière Suisse, condamne.

«La manière dont cet accord est intervenu entre Ruag et l'Angola manque totalement de transparence. Si la Suisse prétend mener ce dossier de la manière la plus démocratique possible, elle ne peut pas s'en tirer en disant simplement que la distribution de cet argent ne lui revient pas», indique-t-il.

D'autant, font remarquer les ONG, que le gouvernement angolais actuel est loin d'être au-dessus de tout soupçon.

En décembre 2006, des citoyens angolais ont ainsi demandé à la justice genevoise de relancer une enquête classée en 2004. Celle-ci portait sur le détournement et le blanchiment de fonds destinés au remboursement de la dette de l'Angola auprès de la Russie.

Ils ont déposé, en juillet 2007, un mémoire qui détaille les faits qu'ils dénoncent. «Ce mémoire montre qu'il existe des soupçons de détournement de fonds à l'encontre du gouvernement angolais actuel. Même si c'est lui qui a conclu le contrat avec Ruag, cela pose des questions du point de vue éthique», insiste Anne-Kathrin Glatz.

Pour les ONG, la Suisse a en outre engagé sa responsabilité en signant un accord avec l'Angola. «Cette affaire pose non seulement la question morale des activités de Ruag, mais elle a aussi pour enjeu les priorités que la Suisse veut mettre en matière de politique étrangères et de droits de l'homme», conclut-elle.

swissinfo, Carole Wälti

En bref

En 2000, la justice genevoise a bloqué des fonds appartenant à des dignitaires angolais dans le cadre d'une affaire de corruption d'agents publics étrangers et de blanchiment d'argent.

Ces 21 millions de dollars - plus 3,2 millions d'intérêts - font partie d'un montant de 774 millions de revenus pétroliers transférés sur un compte UBS à Genève.

Ce montant devait servir au remboursement de la dette de l'Angola auprès de la Russie.

En 2005, la Suisse a conclu un accord avec l'Angola à propos de la restitution de ces 24,2 millions.

Cet argent doit servir à financer des projets de développement et de déminage sous le patronage de la Direction du développement et de la coopération (DDC).

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Faits

Dévasté par un conflit qui a duré 27 ans (1975-2002), l'Angola compte parmi les plus importants pays producteurs de pétrole d'Afrique subsaharienne.
Environ 70% de la population vit cependant en-dessous du seuil de pauvreté.
Quelque huit millions de mines anti-personnel sont toujours enfouies dans le sol angolais.

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Ruag

Héritière des anciennes entreprises d'armement helvétiques, Ruag a été constituée en société anonyme de droit privé en 1999.

Elle appartient intégralement à la Confédération mais dispose d'une relative autonomie.

Aujourd'hui, Ruag est une multinationale active dans quatre secteurs (aéronautique, électronique, défense et munitions).

Elle possède des filiales et des participations notamment en Allemagne, en Autriche, en Angleterre et en France.

En 2007, Ruag a dégagé un bénéfice net de 76 millions de francs (+6 millions) pour un chiffre d'affaires de 1,409 milliards de francs (+162 millions).

L'armée suisse reste son plus grand client. Ses commandes ont représenté 34% du chiffre d'affaires en 2007.

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